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mardi 10 décembre 2013

Verveine 2/2

Je devais pouvoir proposer « quelque chose » à Verveine et vite. Oui mais quoi ? Y aller avec elle ne me posait pas de problème mais juridiquement était-ce possible? Forcer la présence de sa mère qui ne croyait vraiment pas sa fille ? Imposer celle du père qui était prêt à sortir son fusil ? La laisser y aller seule ainsi qu'elle l'avait évoqué était hors de question.
Ma grand-mère m'a toujours dit « quand tu ne sais pas, tu demandes ». J'ai donc demandé. J'ai croisé dans les couloirs du tribunal Maitre Christiane, une avocate, connue sur la place pour être d'une part excellente et d'autre part dans la liste des avocats pour les mineurs. En France, et c'est heureux, tout mineur a droit à un avocat et ça ne lui coûte rien. J'avais juste une question pour elle : pouvais-je accompagner Verveine à l'audition chez le juge d'instruction ? En trois phrases, elle a confirmé qu'il fallait plus à Verveine qu'une simple éduc qui l'accompagne.

dimanche 8 décembre 2013

Verveine 1/2

Elle m'arrive à l'épaule. Habillée comme un sac, vaguement gothique. Des cheveux en rideaux qui ne laissent pas voir grand chose de son visage. Ses mains sont abîmées. Ses ongles rongés au sang. Dans cette pièce de cette maison où nous sommes tous assis autour de la table, elle paraît ne pas se sentir concernée. Il y a sa mère, folle pour dire les choses simplement et dont les paroles révèlent qu'elle habite un monde à part, accessible par personne d'autre à part elle. Il y a la sœur aînée, tout juste majeure qui est en formation. Le frère, au collège et qui fait n'importe quoi. Il va si mal qu'il n'a pas mis les pieds au collège depuis des semaines. C'est ce qui a, entre autre, déclenché le signalement et la mise en place de notre intervention. Et il y Elle... un peu plus de 16 ans, lycéenne en 1ère scientifique. Une heure de trajet le matin, une heure de trajet le soir. Un bulletin brillant. Mutique... Enfin, ce jour là.

mardi 23 juillet 2013

Du sujet, du faire et de l'être

C'est la lecture du billet d’Émilie , merci à elle, qui a fait remonter un certain nombre de choses à la surface et qui m'a fait repenser d'un seul coup à une famille. Cela fait longtemps que je suis partie de MonAssoDavant alors les ressentis s'estompent, remplacés par d'autres et puis d'autres.

Je me souviens d'un échange lors d'une réunion de travail sur la situation de cette famille que j'accompagnais depuis plusieurs années déjà : les Tuyodpouale. Certains suivis courent sur du long terme, très long terme parce qu'ils sont un étayage. Et que cet étayage durera jusqu'à la majorité des enfants. C'est parfois nécessaire et c'est comme ça.

vendredi 3 mai 2013

Ce combat là (3/3)

Trois semaines pour faire basculer ces 70-30...

Il fallait certains documents très précis, des comptes-rendus mais surtout des témoignages. Les attestations... « Je soussigné-e....... atteste que les faits suivants..... ». Il a fallu convaincre parce qu'il y avait la peur. S'exprimer auprès des élus c'est autre chose que de relater des faits dans un écrit qui sera utilisé dans une procédure judiciaire. Et même si, juridiquement, MonAssoDavant n'avait pas le droit de s'en prendre à eux pour avoir établi une attestation, il y a tant d'autres manières de prendre des mesures de représailles, tant d'autres... Ils n'étaient pas protégés par leur statut de représentants du personnel. Pourtant certains, un certain nombre même, ont eu ce courage. Pas forcément ceux qui éructaient le plus fort contre l'institution d'ailleurs. Pas forcément ceux qu'on entendait le plus se plaindre de l'employeur dans les grands messes institutionnelles. Ceux-là, étonnamment, n'ont jamais donné suite à nos sollicitations. Mais ces attestations, il a tout de même fallu aller les chercher avec la force de nos convictions. Et aller les chercher là où elles se trouvaient quand il y avait besoin. J'en ai fait des kilomètres pour aller récupérer quelques feuilles précieuses remplies de l'expression d'une souffrance imprégnée.

mercredi 1 mai 2013

Ce combat là (2/3)

Moche, ça l'a été d'une certaine manière. Nous étions préparés pour un cent mètres et ça a été un triathlon, genre l'IronMan.
On nous a soufflé le nom d'avocats spécialisés et on a commencé à passer des coups de fils. Durant cette période là, c'est LePilier qui gérait la plupart des choses à faire.
Non, il n'y avait pas d'expression de souffrance au travail et de problèmes d'encadrement ? Non, l'institution n'éludait pas la question et travaillait dessus en bonne intelligence depuis des années ? Qu'à cela ne tienne ! Des pages et des pages de documents ont été trouvées, ressorties d'archives. Des faits on été exhumés de certaines mémoires et ont permis de retrouver trace d'écrits et de comptes-rendus. Le dossier grossissait.

dimanche 28 avril 2013

Ce combat là (1/3)

Lorsque je me suis présentée aux élections pour devenir membre du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), je pensais que cette instance était de peu d'importance et que ça serait un mandat sympa (un mandat c'est deux ans). Je suis donc devenue élue dans le collège « employés » avec LePilier et SeBattreDebout (il y a aussi un collège « cadres », SagePosée).
Cette année là, j'ai découvert qu'il n'y avait rien de planplan dans cette instance. Qu'une structure comptant plusieurs centaines de salariés, couvrant un très large territoire et ayant plusieurs entités, c'est du boulot pour le CHSCT ! J'ai appris à lire les rapports des médecins du travail, à lire des plans d'architectes, à discuter avec l'inspection du travail, à repérer les défaut structurels dans des locaux, etc... J'ai aussi appris que lorsque l'employeur et la direction décident de changements et n'en démordent pas, les choses deviennent compliquées.

mercredi 20 février 2013

Quand on veut on peut...? Kevin, Christopher, Priscillia, Dylan et les autres...

C'est une phrase que j'ai souvent entendu et à laquelle je croyais dur comme fer, il y a si longtemps. Vous savez, ces phrases toutes faites, oublieuses du contexte et de l'humain auquel elles sont destinées « quand on veut on peut » ou « avec un peu de volonté tout est possible »... Vous les avez entendu, prononcé, pensé. Moi aussi, encore parfois je me les adresse comme autant de coups de pieds au séant pour me remuer, en général sans grands effets.

Parce que s'il suffisait à chacun de vouloir pour pouvoir, ça se saurait...



Nous ne sommes pas nés égaux. Oh bien sûr, nous naissons égaux en droit, égaux devant la loi et heureusement. Mais nous ne naissons pas égaux devant la vie. Et ça change tout. Je ne crois pas à la prédestination et à la fatalité. Mais je ne crois plus non plus à « il suffit de vouloir pour pouvoir ».

mercredi 16 janvier 2013

Si je savais...

Ces derniers temps, les circonstances font que je vais regarder loin en moi, là je n'étais pas allée depuis un moment. Parce que je ne le voulais pas, parce que je ne le pouvais pas, parce que j'avais oublié.

Vous savez maintenant que j'étais éducatrice spécialisée et que j'ai travaillé de nombreuses années dans ce qu'on appelle le milieu ouvert. Cela veut dire que j'allais à domicile, chez les familles concernées par les mesures éducatives.
Je suis celle qui est partie, qui a décidé de mettre un terme à cet exercice et de tourner le dos au métier. Je ne supportais plus les contraintes institutionnelles, le peu de considération politique portée au travail social et la pression constante de devoir faire plus avec de moins en moins de moyens. Comme avait dit un jour un ancien collègue « on nous demande de faire entrer un litre d'eau dans une bouteille de 50cl ». Moi je disais « écoper le Titanic à la petite cuillère ».
Il y avait aussi une autre raison : ce sentiment d'impuissance absolue de ne pas pouvoir aider les personnes que nous étions sensé accompagner. Les réformes successives avaient déjà bien entamé la capacité à agir que nous avions et les ressources financières, de temps et de personnes que nous pouvions mobiliser pour cela (envoyer un enfant en colo afin qu'il quitte son environnement et que ses parents qui travaillent puissent souffler un peu, ça nécessite de l'argent, d'instruire des dossiers, de gérer les conduites. Pourtant, les bénéfices s'en faisaient ressentir tout au long de l'année ensuite mais bon...).
Travailler auprès d'un public en difficultés est une chose. Assister impuissante à des naufrages personnels, familiaux et éducatifs sans fin parce que des politiques diverses ont décidé que « l'assistanat ça suffit » (sans même percevoir les tenants et les aboutissants de ce qu'est une politique sociale), s'en est une autre.
Les effets de la crise en 2008 et la mise en place du RSA ont été le coup de grâce. Je ne me sentais plus capable. J'étais confrontée à un conflit éthique profond et douloureux. Ce burn-out, j'en ai parlé. Je ne vais pas y revenir une fois de plus.

lundi 3 décembre 2012

Burn Out

Cela m'a pris presque un an pour accepter de pouvoir le dire à voix haute sans en avoir honte : Burn Out (burn-out, en fait).
Lorsque j'ai démissionné de mon poste d'éducatrice spécialisée, de mon « boulot d'avant » c'est parce que j'en étais arrivée à un stade avancé d'épuisement professionnel. Voilà, j'arrive à le dire, à l'écrire même et à le relire sans avoir ce sentiment de culpabilité qui m'a rongé pendant longtemps.
Épuisement professionnel, burn-out...c'est la même chose sauf qu'en anglais ça claque, c'est percutant.
Ça n'est pas arrivé du jour au lendemain. Ça ne vient pas toquer à votre vitre un jour au feu rouge ou alors que vous marchez dans la rue genre « Chat ! C'est toi ! ». C'est un processus long, insidieux et qui prend son temps. Je serais incapable de dater précisément quand cela a commencé. En revanche, je me souviens quand j'ai pris conscience que quelque chose n'allait pas mais alors pas, plus, du tout.

J'ai toujours été une personne entière et engagée dans mon travail. Quand quelque chose m'intéresse, je n'y vais pas du bout de l'orteil. C'est ce qui fait ma force et ma fragilité. Éducatrice spécialisée en milieu ouvert, c'était mon kif. J'ai découvert « mon » métier à ce moment là, lorsque j'ai été embauchée dans l'association. J'avais bien travaillé dans le milieu du handicap auparavant mais lorsque je suis entrée à MonAssoDavant, ma vie a changé et même si cela a été parfois difficile, je n'en regrette pas une seule minute. Je crois que, grâce à ces années, je suis devenue une meilleure personne et une bonne professionnelle.
Ne venez pas me parler de la nécessaire distance et de la distance nécessaire dans ce boulot dont on nous rebat les oreilles et que l'on m'avait consciencieusement entré dans le crâne en formation. Je sais. J'ai juste appris à faire autrement, en conscience, avec lucidité et professionnalisme. Car oui, on peut être engagé dans son boulot en étant très pro. Je ne suis pas entrée dans ce métier comme on entre dans les ordres ou par je ne sais quelle vocation. J'étais bien éducatrice spécialisée et pas dame patronnesse.
Seulement, au fil des années, des réformes fondamentales de la protection de l'enfance sont survenues, les moyens mis à disposition ont drastiquement chuté et le milieu du travail social a commencé à être managé différemment. Bref, il y a eu des bouleversements qui ont sacrément modifié notre manière d'accompagner les familles et, malheureusement, pas en mieux.

mardi 6 novembre 2012

Mamans (2/2)

Je la sentais dans une certaine ambivalence avec le dispositif proposé mais cela restait flou. Elle voulait voir sa fille mais ne semblait pas vouloir engager la démarche. Cela trainait et Poussinnette était tellement en demande qu'il a même été décidé d'organiser une rencontre entre elle et sa mère. Elles ne s'étaient pas vues depuis deux ans. Ça a demandé de la préparation, beaucoup. Et de poser certaines conditions : pas de fausses promesses, pas de dénigrement, pas de conte de fée.
Un jour, j'ai donc passé les portes et les sas de sécurité avec quatre pommes cramponnées à ma main. Dans ce centre de détention, au parloir famille, les murs sont colorés, il n'y a pas de barreaux aux fenêtres et le personnel pénitentiaire est souriant. Cela reste une prison avec ses procédures, sa sécurité serrée, ses trousseaux de clés et ses multiples portes. Chaque porte ne s'ouvre que lorsque la précédente a été refermée.

Elle était euphorique en repartant. D'autant que sa mère lui avait fait des cadeaux, avait acheté des bonbons, joué avec elle, pris des photos (oui, les détenues peuvent acheter certaines choses via le service pénitentiaire). Pour Poussinnette, sa « vraie maman » était juste géniale et parfaite. Elle, elle l'aimait, elle lui avait dit.

lundi 5 novembre 2012

Mamans (1/2)

« Tu comprends, j'ai deux mamans. Une maman de cœur et une maman de sang » - « Ah oui ? Deux mamans ?! » - « Ma vraie maman, enfin tu sais ma maman de sang, elle est ailleurs... Elle a fait une bêtise à Papa » - « Et tu as une fausse maman alors ? » je la regarde en souriant à demi. Ce qu'elle me raconte je le sais déjà ou plutôt, je connais sa situation au travers des mots et des rapports des adultes. Elle me regarde presque indignée « mais ça existe pas une fausse maman ! C'est ma maman là » et elle pointe son cœur avec son petit doigt.

Un papa, deux mamans, deux sœurs et une vie déjà bien marquée du haut de ses quatre pommes et cinq années.
Elle a connu l'errance de ses parents puis une famille d'accueil qui l'a aidée à se structurer. Elle n'avait pas un an. Pendant qu'elle grandissait, sa mère a agressé, blessé son père à l'arme blanche et a été incarcérée.
Sa mère a commencé son parcours carcéral en maison d'arrêt puis en centre de détention après sa condamnation aux Assises. Une longue peine.
Son père a été SDF et a rompu tout lien pendant quelques mois puis a décidé de se battre. Il est remonté de son propre enfer, marche à marche jusqu'à être totalement réinséré. Il a rencontré une femme, elle même mère d'une petite fille. Ensemble, ils ont construit une vie qui a permis que Poussinnette vienne vivre avec eux. Et une petite sœur est née aussi. Une vie de famille recomposée, tranquille, assez équilibrée. Comme le papa pouvait me dire « je suis le plus heureux des hommes avec toutes mes petites femmes. Si seulement...si seulement Elle n'existait plus ». Elle, la génitrice, la mère biologique, la maman de sang. Elle qui l'avait marqué à vie, lui, et qui incarcérée loin avait demandé son transfert pour se rapprocher de sa fille. Elle dont Poussinnette n'a que peu de souvenirs et dont tous incluent des clés qui tournent, des portiques de sécurité et des portes qui se referment.

mercredi 29 août 2012

Tout ça, c'est à cause de Delphine!

Quand j'y repense aujourd'hui, tout a commencé il n'y a pas loin de six ans. Je ne sais pas ce qui m'a pris ce jour là mais j'ai décidé de faire un bilan de compétences, sans en informer mon employeur.

J'ai contacté l'organisme paritaire dont je dépendais, j'ai rempli le dossier, pris contact avec des boites qui faisaient ça. J'ai commencé la valse des rendez-vous, pour choisir. Oui, c'est ce qui était bien : à partir d'une liste agréée, je choisissais dans quel cabinet de formation/conseil/consultants/charlatans je voulais aller. J'avais droit à une heure « gratuite » chez autant de prestataires que je voulais, pour me déterminer.

Quand j'y repense aujourd'hui, ce qui m'a plu chez elle, c'est qu'il n'y avait aucun a priori, aucune condescendance ni aucune impatience. Elle m'a écouté sans jamais regarder sa montre. Son téléphone n'a pas sonné une seule fois. J'avais tant et plus de questions et elle a répondu. Cette heure là était pour moi, ne rapportait rien à sa boite mais j'étais la personne importante de l'heure en cours.

lundi 27 août 2012

Picasso, mes kickers, un préjugé et la grâce

Il y a quelques temps de ça, lors d'une de mes escapades parisiennes, je suis allée trainer mes guêtres au Musée en Herbe car il y avait une expo Vasarely et que j'avais envie d'en découvrir un peu plus sur lui.
Le Musée en Herbe est un musée avec des ateliers et des animations pour les enfants. Donc pendant ma visite, il y avait un groupe assez disparate de petits/trolls/grumeaux/anges/démons/cequevousvoulez. J'ai passé autant de temps à les observer faire leurs activités et surtout à les écouter qu'à regarder les œuvres présentées.
Les enfants et l'art, c'est juste du bonheur en barre. Ils ne sont pas encore formatés et expriment ce qu'ils ressentent sans retenue. J'adore emmener des enfants au musée.
Il y avait une petite fille qui, par sa manière d'être, m'en a rappelé une autre, ailleurs, il y a longtemps. Un grand moment de mon boulot d'éduc' et une leçon aussi, une vraie leçon d'humilité.

vendredi 3 août 2012

Accompagner


Il se trouve que ce matin, deux moments quasi concomitants m'ont conduite à coucher ces mots. D'une part, j'ai vu passer dans ma TL les tweets de @Juge_Marie (juge pour enfants si je ne me trompe pas) et d'autre part, je tweetais avec une personne qui travaille en soins palliatifs. A chaque fois, le mot « accompagnement » apparaissait.
Cela m'a replongée dans mon métier initial. Celui pour lequel j'ai fait trois ans d'études et qui m'a portée, enthousiasmée, interrogée, remise en question, usée, faite pleurer et rire, m'a faite grandir et regarder le monde autrement.

Je ne dis pas que ce billet va être très léger ou très drôle mais je ne peux pas m'empêcher de vous en parler.

Être éducatrice qu'est-ce que c'était, qu'est-ce que c'est ? Lorsque j'ai commencé ce métier, être éducatrice c'était sauver le monde. J'ai appris l'humilité depuis et heureusement. Se prendre pour Zorro, WonderWoman et Dieu n'a jamais fait avancer le schmilblik, jamais. Et ça, croyez-moi, ça s'apprend en accéléré. J'ai revu mes prétentions à la baisse et ça m'a permis de découvrir ce qu'était réellement ce travail.

mercredi 6 juin 2012

Le coeur de ces femmes


De toutes mes années à travailler auprès des familles, j'ai gardé de la satisfaction, beaucoup de questionnements, des doutes et une admiration infinie pour ces êtres humains qui mettent une énergie colossale à tenter de rester debout, à vouloir garder la tête hors de l'eau. Car il en va de la dignité humaine comme de l'air qu'on respire : elle est indispensable à l'existence humaine.

Ce qui est paradoxal dans ce qu'on appelle l'aide contrainte est qu'il est demandé aux parents d'accepter une aide qu'ils n'ont pas demandé, qu'on leur impose pour des faits ou des positionnements que la plupart du temps ils réfutent. Comment aider quelqu'un qui dit qu'il n'en a pas besoin ? Comment aider une personne à modifier certains comportements alors qu'elle est persuadée d'être dans le bon et le bien ? Comment l'obliger à accepter une intervention éducative qui s'impose ? Car le système est ainsi fait : il souligne en général ce qui ne va pas, pointe les carences, les manquements, les abus mais il oublie souvent de souligner ce qui va bien.

vendredi 18 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (2/2)


Dans une situation comme celle-ci, une note (c'est le terme technique) circonstanciée et détaillée est adressée au juge des enfants. Avant, nous en avons parlé en équipe (chef de service, collègues, psychologue) longuement. Écrire une note oui mais quelles conclusions ? Continuer la mesure en cours ? Renforcer la mesure éducative ? Demander le placement ? Placement en urgence ou non ? La décision appartient au magistrat.

Je reviens sur ce que je sentais depuis longtemps. Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait ? Étais-je trop proche ? Ma collègue détaille de manière très clinique nos interventions ainsi que les contacts pris avec l'assistante de service social, la PMI (protection maternelle et infantile), l'école, les écoles. Quelque part, cela me sort de ma spirale de doutes et m'aide à regarder presque froidement ce que nous avons fait, mis en place dans cet accompagnement.
L'éclairage de la psychologue est important. Perverse narcissique, relations toxiques, père sous influence, intégrité psychique, construction identitaire, individuation... Autant de mots et de concepts qui prennent tout leur sens et qui viennent légitimer certains de mes ressentis. D'autres sont d'un autre registre, n'appartiennent qu'à moi.

Après une très longue réunion et beaucoup d'échanges, de doutes, d'interrogations, notre chef de service a tranché. Demande d'audience en urgence aux fins d'envisager de confier la mineure Miss Papillon aux services de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). En langage ordinaire, demande de placement en famille d'accueil.

jeudi 17 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (1/2)


Lorsque je l'ai rencontrée la première fois, elle avait à peine cinq ans. Elle vivait chez son beau-père à qui elle avait été confiée après la mort de sa mère quelques années plus tôt. Il y avait aussi une petite sœur, née du mariage de cet homme qu'elle appelait « Papa » avec sa maman. Une vie simple mais si chaleureuse.

Elle savait bien pourquoi je venais, elle en avait vu d'autres avant moi. Depuis d'aussi loin qu'elle s'en souvienne et même avant. Petit gabarit, fine avec de grands yeux. Une grâce rare comme j'ai pu en voir chez certains enfants. Quelque chose qui ne se décrit pas. Paradoxalement, je ne me souviens pas de la couleur de ses yeux ou d'autres détails.
Elle m'observait pendant les salutations d'usages entre adultes, debout derrière une chaise dont le dossier ne me laissait voir que des bouts d'elle. Je me rappelle avoir posé ma sacoche rouge, être allée la voir et m'être penchée. Ses yeux dans les miens et quelque chose d'interrogateur, une attente.
Lorsque j'allais dans les familles, je ne faisais que très rarement la bise aux enfants, sauf lorsque vraiment ils me connaissaient très bien ou qu'ils y tenaient absolument. Après tout, j'étais « l'éducatrice, « la dame », « le service éducatif » mais je n'étais pas de la famille. Je considère que faire la bise à un enfant est quelque chose de personnel, d'intime presque.
Sinon, le rituel était toujours le même « alors, comment on se dit bonjour ? », parce que oui se dire bonjour est important (au revoir aussi d'ailleurs). Serrer la main, faire un coucou de loin, juste se dire bonjour ou alors mon petit truc à moi, ma manière de leur dire bonjour, le « bonjour papillon ». Elle a eu l'air étonnée, elle n'avait jamais entendu ça ! Ok pour le bonjour papillon. Je lui montre avec un clin d’œil, on agite nos doigts en s'effleurant à peine. Elle m'a alors laissé voir sa lumière et son sourire a irradié. Le mien n'a pu que lui faire miroir. Je suis devenue « Madame Papillon ». Cela a été notre rituel pendant plus de trois ans.