dimanche 12 novembre 2017

Derrière les murs

Avant même d’y aller pour la première fois, il faut montrer patte blanche : remplir des formulaires, attester sur l’honneur, envoyer une copie de la pièce d’identité. Il faut obtenir une permission, et pas que temporaire, pour franchir le seuil.

Le rituel des visites est réglé comme du papier à musique, enfin sauf quand il se passe des choses à l’intérieur qui font que ça grippe mais ça c’est une autre histoire.

Il y a un gardien à l’entrée derrière une vitre épaisse. « Bonjour, Serval Frayer de Boitedeformation, je vais au socio ». Il prend (et garde) ma pièce d’identité et vérifie que je suis bien sur le registre, note mon nom et mon heure d’arrivée. Il me reconnaît maintenant donc on échange quelques mots en plaisantant. Le bourdonnement électrique m’indique que la lourde porte métallique est déverrouillée et que je peux entrer.
Derrière, il y a le portique de sécurité et le tapis de la machine à rayons X sur lequel poser mes affaires : pas d’électronique, pas d’objet tranchant ou contondant, pas de trop grosses chaussures sinon il faut les enlever pour les faire passer dans la machine (ça m’a pris deux ou trois visites pour trouver la bonne paire de pompes, celle que je n’ai pas à enlever). Pendant ce temps, je passe sous le portique de sécurité qui détecte et sonne facilement.
J’ai pris l’habitude, je n’ai rien avec moi sauf l’indispensable : mes documents de travail, quelques stylos, un paquet de mouchoirs, mes clefs de voiture. Tout le reste, mon sac, bouteille d’eau, cigarettes, reste dans le coffre de ma voiture (sinon, faudrait que je laisse mes affaires dans un casier et c'est chiant en fait).

Une fois la sécurité passée, autre porte, autre bourdonnement qui déverrouille. Il y a comme une cour et les bureaux des collègues du SPIP sont là. Je passe dire bonjour, me faire offrir un café et discuter de manière informelle des gars suivis dans notre dispositif. Puis direction la porte du fond de la cour : sonner, attendre le bourdonnement et tirer le lourd vantail.
Il y a un autre gardien à un poste de sécurité : je m’annonce à nouveau. Il me donne un badge de couleur à accrocher à mes vêtements et qui doit toujours, TOUJOURS, être visible. Il me donne aussi un boîtier à accrocher (je le mets à la poche de mon pantalon en général) et qui doit rester bien droit, sinon il sonne. Ça, c’est pour ma sécurité ! Si je tombe, suis bousculée ou autre, ça déclenche une alarme et vous imaginez la suite.
Puis il y a la grille, épaisse aux gros barreaux et lourde à tirer. Une courette, une autre lourde grille. À chaque fois, il faut attendre le bourdonnement qui signale qu’elle est ouverte. Parfois il faut attendre… Et attendre…
Encore une cour, encore une grosse grille avec bouton d’appel celle-là. J’entre en détention proprement dit. Une autre grille, qui s’ouvre à la clef ou à distance, cela dépend de qui est là (le cliché du surveillant avec les gros trousseaux de clefs et le bruit des serrures, c’est un peu dépassé, c’est géré par ordinateur maintenant). En fonction des heures où j’arrive, il y a des détenus qui font le ménage, qui poussent des chariots de linge ou de poubelles ou qui se rendent là où il doivent aller. Ils plaisantent, s’interpellent parfois s’engueulent mais cela reste contenu. Parfois les grilles suivantes sont ouvertes, parfois pas. Il y en a deux avant que j’arrive au bureau du surveillant qui gère « le socio ». On se fait la bise, on papote un peu, on fait un point rapide. C’est lui qui gère les salles, les mouvements de détenus, la logistique, qui garde l’œil et maintient le calme. Il est très respecté par les détenus et quand il est absent, la différence se fait sentir.

La première fois que je suis venue, j’ai été étonnée. Au centre de cet espace ouvert, il y a un peu de pelouse et quelques arbustes. On voit largement le ciel, zébré d’un maillage métallique tendu au dessus de nous et on entend les mouettes. Certains murs sont couverts de fresques, belles, colorées, très graphiques. Les locaux que l’on utilise sont vitrés et spartiates. Un bureau, un fauteuil, une ou deux chaises. Rien de superflu. Propre, clair mais ça caille !!! Je vais devoir sortir les gros pulls pour cet hiver.
Il y a des coursives et des fenêtres de cellules qui donnent sur la cour alors il y a des moments où il y a des cris, des discussions animées, des prises de tête… Les hommes s’interpellent, ça résonne et cela n’est jamais calme.

Les détenus que je rencontre… Ils ont intégré un dispositif pour leur insertion professionnelle à leur sortie. Plutôt jeunes, parfois presque des gamins, d’autres plus marqués. Parfois un peu provocateurs, parfois très polis voir trop, parfois causants ou timides, un brin manipulateurs aussi. Certains vous demanderaient leur chemin dans la rue que vous n’y penseriez pas à deux fois avant de les renseigner, d’autres pourraient vous donner envie de changer de trottoir. Certains collent aux clichés que l’on imagine avoir sur les « mecs qui font de la tôle » et d’autres font penser à des premiers communiants. Ne pas se fier aux apparences. Je me fie à mon intuition, pas à mes yeux. Ils sont là parce qu’ils ont enfreins la loi. Je ne demande pas, jamais, pourquoi et pour quoi. La justice est passée ou va passer. Je ne suis pas là pour juger mais pour les accompagner dans un projet d’insertion professionnelle. L’après se prépare. Ils ont chacun une histoire singulière. Ce sont des gars plus ou moins ordinaires, tranquilles ou filous, insérés socialement ou pas. Je vous en parlerai… Le monde carcéral est un univers multiple, complexe et singulier.



Quand j’ai terminé mes rendez-vous, je remballe et je refais le chemin inverse. Deux halls, trois cours, deux points de sécurité, 8 grilles et portes plus tard, je récupère ma pièce d’identité et retourne à ma voiture. Quand j’y suis, je ne suis jamais détendue complètement. Pas sur le qui-vive ni inquiète, vraiment pas. Je n’ai peur ni du lieu ni des personnes que je rencontre. Il y a une tension sous-jacente constante, plus ou moins dense mais elle est là. Une maison d’arrêt est un lieu privatif de liberté. Et ce n’est pas un vain mot.

Je repasse de « derrière les murs » à l’extérieur des murs. Jusqu’à mes prochains rendez-vous avec eux. Chaque semaine. Et j’y suis à ma place.


1 commentaire:

  1. Hello, cela doit faire plaisir de rentrer dans le concret après toutes ces années d'étude. Le milieu carcéral n'est pas l'environnement le plus facile.

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