Ce
week-end, j’ai fait quelques cartons et j’ai clôt un chapitre
important de ma vie.
Ce
week-end, j’ai beaucoup pleuré avec la sensation que mon cœur se
morcelait et je ne comprenais pas pourquoi.
Ce
week-end, la femme que je suis a compris quelque chose de la petite
fille qu’elle avait été et qui se cache encore en elle.
Pendant
cinq années, j’ai fait ma formation de psychologue du travail
à Paris. Si j’ai pu faire cela, en habitant en Bretagne (en tout
cas au début), c’est que ma Tante m’a accueillie chez elle.
J’avais un studio indépendant au bout de son couloir. Et
pendant toute la durée de cette phase parisienne de mes études,
j’ai conservé ce lieu. J’y venais comme je voulais, quand j’en
avais besoin. J’y étais chez moi. Même lorsque je suis passée de "je" à "nous".
Mes
études étant terminées et ma vie étant désormais définitivement
en Bretagne, il fallait bien que je finisse par vider les pièces et
les rendre disponibles pour quelqu’un d’autre éventuellement.
Alors
je suis venue en voiture pour quitter les lieux pour de bon. J’ai
eu les larmes au bord des yeux constamment pendant 3 jours dans le
meilleur des cas, voir je pleurais à grosses larmes. Et c’était
bien plus que de la simple émotivité. Après tout, être hyper-sensible (pour de vrai) et hyper-empathique fait que je ressens tout
plus fort, plus gros, plus grand, plus tout quoi. Mais c’était
autre chose. Je pleurais de lourdes larmes de chagrin sans comprendre
d’où cela venait.
Tout
en rangeant, triant, jetant, empaquetant et redécouvrant certaines
choses, je repensais à ces cinq années dans ce studio et ce qu’il
a représenté et tout à coup j’ai compris.
Les
attentions douces.
J’arrivais la plupart du temps au train du soir, tard voir très tard. Lorsque j’arrivais,
souvent l’appartement était plongé dans le noir car ma Tante
dormait déjà. Pourtant lorsque j’arrivais dans ma chambre, elle
avait allumé le chauffage (lorsque c’était l’hiver) ou aéré
la chambre (lorsque les températures devenaient plus clémentes).
Combien de fois ai-je trouvé une assiette avec quelque chose à
manger ou un bol de soupe ?! Je ne compte plus les petites mots
me souhaitant la bienvenue ou m’invitant à partager un repas avec
elle dans les jours qui suivaient ou me disant de surtout venir me
servir le lendemain matin pour mon petit déjeuner car elle imaginait
bien que je n’avais pas de quoi manger.
Je
trouvais mes serviettes de toilette lavées et soigneusement
repassées, posées sur mon lit.
En
fonction des saisons je pouvais trouver quelques friandises faites
maison ou un pot de sa délicieuse confiture d’orange.
Si
elle était partie en vacances, le petit mot était plus long car
elle me demandait de jeter un œil sur son appartement, d’arroser
les plantes ou de ne pas hésiter à investir sa salle à manger (qui
a une grande table) pour travailler à mon aise, ce que j’ai fait
un nombre de fois incalculables.
Combien
de fois a-t-elle rapporté du marché ce bleu de brebis gourmand
et m’en déposait-elle un morceau soigneusement emballé « je
sais que tu l’aimes bien celui-là » ?!
La
liste est sans fin. Ces cinq ans ont été ponctués de (petites)
attentions douces de sa part qui me faisaient au cœur une sensation
légère et puissante à la fois : j’étais attendue.
Et
j’ai pris conscience d’une chose et compris mes larmes de ce
week-end. Cela a été le seul lieu où j’ai été attendue
(indépendamment des amis qui vous invitent, c’est autre chose ça!
Car être invitée, c’est être attendue). Cela n’est pas
seulement une impression, c’était une réalité.
Et
j’ai réalisé que c’était beaucoup plus profond et que cela
venait de beaucoup beaucoup plus loin. Et j’ai compris mon chagrin
aussi.
Vous
voyez, tout autant que mes parents m’aient aimé et m’aiment
encore, ma naissance a été comme dit ma mère « une heureuse
surprise ». Je n’étais pas attendue, vraiment pas prévue au
programme. Et nulle part, jamais, je ne me suis sentie attendue. Cela
a aussi à voir au fait que je suis différente et que je ne me suis
que rarement vraiment sentie à ma place. Et cela a été constant.
L’impression d’être un chien dans un jeu de quille, de prendre
trop de place (ou d’en demander trop) ou celle de gêner, d’être
de trop.
De
toute ma vie, jamais je ne me suis sentie attendue. Sauf pendant ces
cinq années. Ces petits riens, ces gestes gentils, ces attentions
douces venaient le marquer à chaque fois.
Je
ne dis pas que d’autres personnes ailleurs dans d’autres
contextes ne m’ont pas attendues elles-aussi. Je n’en sais rien
en fait car il n’y avait pas d’attention ou de geste qui venait
me le signifier. Et pour une personne aussi sensible et attentive
aux petits riens que moi, cela compte. Ce n’est pas une question de
valeur pécuniaire, c’est une question d’attention à l’autre.
Elle
et moi, nous nous comprenons. Elle savait quand poser les questions
ou quand surtout ne pas en poser. Quand venir toquer à la porte pour
me sortir le nez de mes bouquins ou de ma morosité ou quand surtout
ne pas intervenir. Parfois, je bossais comme une dingue enfermée
dans ma chambre et lorsque j’en sortais pour aller aux toilettes
par exemple, je voyais une part de gâteau ou quelques dattes ou
autre posées là dans une de ces petites assiettes en fer blanc
émaillées que j’adore. Je n’avais rien entendu. Elle était
venue, cœur discret et si généreux, me déposer ça. Sa manière
de me dire « je sais, c’est pas facile, tiens un peu de
réconfort ».
Vous
savez le plus dingue ? On ne se fait quasiment jamais la bise.
On ne se manifeste que très peu notre affection en bonnes pudiques
hyper-émotives que nous sommes. Mais il y a ces attentions douces.
Alors
faire ces cartons, vider cette pièce et partir, c’est savoir que
je ne serai plus attendue. Cela ne va pas empêcher que je vais
continuer d’aller passer des week-ends à Paris et qu’elle
viendra chez moi passer des séjours.
Mais
dans mon quotidien, je ne serai plus attendue. Il n’y aura plus
jamais ses petits gestes, ses « alors, cette journée ? »
ou ses « tu t’assoies 5 minutes ? ». J’aime ma
vie et j’ai bataillé si fort pour être où je suis aujourd’hui.
Je ne regrette rien, absolument rien tant en bon qu’en moins bon.
Cela
n’empêche pas que la femme que je suis aujourd’hui et qui est à nouveau "je", qui abrite
en elle cette petite fille qui avait tant besoin d’être attendue,
et qui vit ce qu’elle a tant aspiré à vivre, cette femme-là ne
sera plus attendue.
Et
cela m’a morcelé le cœur.
Cela
ne va pas m’empêcher de continuer à vivre et à être heureuse.
Cela fait bien longtemps que j’accepte mes fêlures, mes cicatrices
et que je ne les nie plus. Je m’efforce de faire du Kintsugi avec mon coeur et j’y
réussi pas trop mal. Mon chagrin va passer. Et on continuera elle
et moi à partager des moments drôles, tendres, forts ou tristes.
Pensez-y
juste, dans votre vie quotidienne. Certains gestes qui peuvent
paraître dérisoires font toute la différence : une petite
lampe allumée si vous rentrez tard, un couvert mis même si l’autre
ou les autres ont déjà dîné, un chauffage allumé, un petit mot
simple, une tablette de chocolat ou que sais-je encore. Bref, toutes
ces petites attentions douces qui vous font sentir attendu-e.
Parce
que se sentir attendue, cela rend les combats de la vie plus
supportables et cela vient aussi signifier « tu existes, pour
moi tu es ».
Ces
attentions si douces…
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