Soutenir
un mémoire n’est pas chose facile. Surtout lorsque la personne qui
le présente est persuadée qu’elle a plus de chance de rater que
de réussir. Après tout, pourquoi ces éminents professeurs qui
composaient le jury trouveraient-ils ce que j’avais écrit
suffisamment digne d’intérêt ?! Le sentiment d’être une
imposteure (oui je féminisme les mots) est tellement ancré en moi
que ça pourrait être un tatouage invisible.
Une
soutenance c’est un mémoire que tout le monde a lu, un jury
composé de cinq personnes dont trois professeurs-chercheurs dont le
patron de la Chaire et Bibi Serval devant parler 15 minutes mais
surtout sans reprendre ce qui a été déjà écrit dans le mémoire.
Ensuite plus de 45 minutes d’échanges « entre pairs »
(mouaich) et de questions-réponses.
Dire
que j’ai bossé ce mémoire et cette soutenance est en dessous de
la vérité. J’ai lu, écrit, bouffé, dormi, respiré, pleuré,
chié, crié, cuisiné mémoire et soutenance pendant des mois. Des
hôtes dans mon cerveau qui ne me laissaient jamais de répit.
Je
ne vais pas vous refaire ni le sujet ni la soutenance mais dans ma
présentation, à un moment donné, j’ai parlé d’éthique de
métier. J’en avais aussi un peu parlé dans mon mémoire mais sans
plus. Le croyais-je.
Il
y avait dans mon jury un professeur, philosophe et éthicien. Donc
forcément, la question de l’éthique, il a sauté dessus comme la
vérole sur le bas-clergé Breton et il s’en est régalé. J’avais
également vaguement abordé la question de la servitude volontaire.
Et là, pas d’accord du tout notre philosophe. Notre échange a
duré plus de 10 minutes. Il a commencé par m’exposer par A+B que
cette histoire de servitude volontaire n’avait pas sa place dans
mon mémoire : pas un mot jugeant, pas une intonation méprisante
(alors qu’il me démontrait que je n’avais vraiment pas compris
le concept), juste l’expression d’un point de vue philosophique
d’un homme connaissant son sujet et qui m’expliquait en quoi mon
choix était discutable. Et en soi, il avait raison...
Puis,
il a sorti l’artillerie lourde et il ne s’en est même pas rendu
compte. Il a commencé à parler de l’éthique, de ce qu’il avait
aimé dans ma présentation et de ce qu’il avait lu dans mon
mémoire. J’ai découvert que j’avais fait un lapsus
orthographique (j’avais écrit clôt au lieu de clos) qu’il le
trouvait merveilleux (j’y ai juste vu une faute d’orthographe…)
et que c’était Moi qui s’exprimait profondément dans cette phrase et qu’elle
sonnait totalement juste en l’état et dans ce contexte. Il m’a
dit que là (en pointant sur la page en question) j’étais
complètement à ma place.
Je
n’ai pas compris la moitié de ce qu’il m’a dit (et les autres
membres du jury pas vraiment non plus). Nous avons engagé un
dialogue sur cette question, lui dans sa stratosphère philosophique
dans cette espèce de béatitude naturelle qui paraît être la
sienne. Moi avec mes phrases parfois hachées, mes silences cherchant
mes mots et allant puiser loin en moi les ressources pour exprimer
clairement tout ce qu’il avait dit suscitait. Et ça
bouillonnait sous mon crâne. L’éthique est un sujet qui me tient
à cœur. Et il écoutait chacun de mes mots, de mes silences, de mes
hésitations pendant que mes mains complétaient par des gestes ce
que je n’arrivais pas à verbaliser. Et le dialogue a duré un bon
moment.
De
sa voix douce et avec son regard planté dans le mien, il a réparé
sans le savoir, avec une bienveillance infinie, une déchirure que je
portais en moi depuis des décennies. Le sentiment de ne pas être
capable, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être légitime, de
ne pas être assez intellectuelle pour mener de longues études. A ce
stade, c’est plus une déchirure, c’est une béance.
Il
m’a dit que faire des erreurs faisait partie du métier. Il m’a
dit que malgré ce que j’avais écrit de manière assez sévère à
propos de ma posture professionnelle, elle était totalement éthique.
Il m’a dit que l’inquiétude permettait le questionnement éthique
mais que le tourment ne le permettait pas. Et il m’a parlé
d’indulgence et de rigueur méthodologique, que je manquais de
l’une alors que j’étais complètement dans les clous pour
l’autre. « Laissez donc le tourment et ne conservez que
l’inquiétude, elle est bien suffisante ». Il m’a félicité
pour mon travail, pour son intérêt, pour l’analyse et l’intérêt
des concepts abordés.
Lorsque
j’ai quitté cette salle dans laquelle presque 9 années d’efforts
multiples se jouaient, j’étais diplômée. Et pour la première
fois de ma vie, en regardant ce que j’avais fait, j’en ai été
fière. J’y étais arrivée. Pas toute seule. Mais le travail c’est
moi qui l’ai fourni. J’ai été soutenue, aidée, accompagnée,
portée et heureusement ! Mais c’est moi, moi qui aie tenu la
distance, fléchi mais pas lâché, bossé comme jamais. Je me suis
obstinée et accrochée à cette putain de formation pire qu’une
sangsue anémiée s’accrochant au 1er animal à sang
chaud qui passe.
Lorsque
j’ai quitté cette salle, j’ai enfin pris conscience que j’étais
capable. Et c’est ma plus grande fierté.
Te connaissant un petit peu soit-il, j'étais persuadé que ton aventure "Gnourynquologue" se traduirait dans les faits par cette apothéose . Il ne te reste dorénavant qu'à trouver ta voie dans ce monde qui m'est éthiquement inconnu! Bisous et encore bravo ... A bientôt pour arroser cette super bonne nouvelle ! hips
RépondreSupprimeril est beau ce philosophe stratosphérien, j'espère qu'il lira ce bel hommage
RépondreSupprimerHello, j'ai attendu quelques jours pour écrire ce commentaire car il était en résonance avec ce que je vivais. Tu sais tellement bien exprimer les sentiments qu'on a l'impression de les vivre.
RépondreSupprimerDans le cadre d'un diagnostic plus global, j'ai subi un test WAIS-IV il y a 2 semaines. J'écris bien "subi" car j'étais dans un tel état de stress que j'ai foiré les 2 premières épreuves dont une qui est pourtant ma force c-a-d la mémoire immédiate. Je n'entendais même plus la psychologue égrener les chiffres. On a dû faire une pause. A fur et à mesure que je me calmais cela se passait plutôt bien. La psy, à la fin, a eu beau me dire que les résultats devraient correspondre à mes "attentes" je suis reparti dévasté. C'est là où le syndrome de l'imposteur (parce que je suis un garçon ;-) ) prend le relai. Pendant une semaine. J'ai envisagé le pire à savoir en dessous de 130. Toute ma vie bâtie essentiellement sur mon intellect s'écroulait et je me disais que je ne pourrai dorénavant plus parler avec un ensemble de personnes dont tu fais partie.
Donc jeudi, la psychologue avait calculé les résultats. Le rapport viendra plus tard notamment pour atténuer les résultats bruts pour tenir compte des circonstances. Une chose l'intrigue toutefois: plus cela devient dur plus je suis performant. La torture a duré quelque peu car elle donnant les résultats catégorie par catégorie. Enfin, malgré un 147 aux aptitudes verbales et à cause des 2 1ères épreuves loupées, le score moyen final est à 136. Certes, je "visais" au-dessus de 140 mais, vu les circonstances, je m'en contente.
Donc, depuis quelques jours, je suis rasséréné. Je pense que lorsque tu as quitté la salle c'est un sentiment du même type qui a dû aussi t'animer car vaincre son manque de confiance en soi est la chose la plus dure à réussir.
Encore un gros bravo et j’espère que tu vas pouvoir mettre en oeuvre tout ce savoir