vendredi 3 mai 2013

Ce combat là (3/3)

Trois semaines pour faire basculer ces 70-30...

Il fallait certains documents très précis, des comptes-rendus mais surtout des témoignages. Les attestations... « Je soussigné-e....... atteste que les faits suivants..... ». Il a fallu convaincre parce qu'il y avait la peur. S'exprimer auprès des élus c'est autre chose que de relater des faits dans un écrit qui sera utilisé dans une procédure judiciaire. Et même si, juridiquement, MonAssoDavant n'avait pas le droit de s'en prendre à eux pour avoir établi une attestation, il y a tant d'autres manières de prendre des mesures de représailles, tant d'autres... Ils n'étaient pas protégés par leur statut de représentants du personnel. Pourtant certains, un certain nombre même, ont eu ce courage. Pas forcément ceux qui éructaient le plus fort contre l'institution d'ailleurs. Pas forcément ceux qu'on entendait le plus se plaindre de l'employeur dans les grands messes institutionnelles. Ceux-là, étonnamment, n'ont jamais donné suite à nos sollicitations. Mais ces attestations, il a tout de même fallu aller les chercher avec la force de nos convictions. Et aller les chercher là où elles se trouvaient quand il y avait besoin. J'en ai fait des kilomètres pour aller récupérer quelques feuilles précieuses remplies de l'expression d'une souffrance imprégnée.

Pendant ce temps, la direction utilisait tous les outils institutionnels (réunions, affichage, bulletins d'info internes) pour expliquer à tous les salariés combien le méchant CHSCT voulait mettre en péril MonAssoDavant avec une vilaine et très coûteuse expertise qui n'était pas justifiée. Que d'ailleurs Maitre DouéEtOpiniâtre avait demandé un report d'audience et retardait de ce fait la procédure. Oh, jamais de manière frontale et diffamante. Mais des collègues revenaient vers nous « Alors, il parait que vous avez demandé un report ? C'est quoi cette histoire, qu'est-ce que vous foutez ? » - « Oui nous avons du demander le report car leur avocate a communiqué 200 pages de pièces à cinq jours de l'audience. Hors délais et notre avocat a besoin de temps pour éplucher les documents en question ». Etc...
Pendant ce temps là, il fallait continuer à bosser, aller sur le terrain et exercer mon métier. Être disponible et présente aux familles, aux collègues, aux partenaires. Ma chance a été d'être dans une équipe solidaire et soutenante. J'étais sur les nerfs. Je ne dormais presque plus. Mais ça, j'en ai déjà parlé. La vie du boulot continuait. La vie du CHSCT, avec les affaires courantes et les bagarres liées à d'autres questions, aussi.

Je me rappelle que les documents arrivaient de toutes les entités. N'ayant pas de placard fermant à clef ni de bureau dédié pour le CHSCT, je rapportais tout le soir à la maison. J'avais fait des photocopies de tout. J'organisais, triais, numérotais, vérifiais les signatures. Et surtout, je lisais ce qu'il-elle-s disaient... Et ça me remettait une couche de hargne et d'énergie pour continuer. Il fallait que tout cela cesse !
Je me rappelle les épaisses enveloppes envoyées en recommandé avec AR contenant les précieux documents.
Je me rappelle les soirées passées au téléphone avec DouéEtOpiniâtre, assise sur le plancher de mon salon, entourée de papiers, épluchant chaque pièce et griffonnant ce qu'il me disait. En outre, il nous avait prévenu : il nous fallait être précautionneux et vigilants en instance CHSCT, pas de dérapages ou de coup de sang.
Je me rappelle les soirées chez LePilier, devant sa cheminée à évacuer les tensions et les peurs, à se remotiver et à rester soudés. Nous étions un Tout. J'étais en première ligne mais sans eux, jamais au grand jamais, je n'aurais tenu. Je prenais juste la suite de collègues ayant, eux aussi, mouillé leurs chemises sur cette question oh combien importante. C'est tous les quatre que nous avons oeuvré ensemble, beaucoup et jusqu'au bout.
Je me rappelle du départ en congé mater puis de la naissance du bébé de SeBattreDebout. Un petit ange aux joues rebondies et aux poumons puissants.
Je me rappelle de cette énième conversation téléphonique du soir avec DouéEtOpiniâtre, assise sur mon balcon en train de fumer. « Et maintenant Maitre, qu'en pensez-vous ? Nos chances ? » - « ... 70-30, Madame Frayer, 70-30... en notre faveur... Nous sommes prêts ». Nous étions passés de « vous » à « nous ».

Enfin, oui enfin, le jour de l'audience est arrivé. Après tous ces mois. Je crois qu'il faisait assez beau ce jour là mais je ne m'en souviens plus vraiment. Je me souviens que nous étions là, tous les quatre (en fait tous les cinq car SeBattreDebout était venue avec son petit, né à peine un mois avant), que l'employeur était représenté par DirecteurGarous et que le président du conseil d'administration n'avait même pas pris la peine de se déplacer.
Le Président du TGI a donné 20 minutes à chaque avocat pour plaider. Maitre GlacialeDésincarnée a été la première puisqu'elle représentait le demandeur. Elle a monologué pendant 30 minutes. Je faisais des bonds intérieurs vu ce que j'entendais et qu'elle bouffait du temps de parole de NOTRE DouéEtOpiniâtre à nous. Puis ça a été son tour. Il avait 10 minutes. LePilier qui avait plusieurs fois émis des doutes sur les compétences de notre avocat était stupéfié. Là où GlacialeDésincarnée parlait chiffres, coût de l'expertise, équilibre budgétaire, DouéEtOpiniâtre parlait de souffrance, de risques pour les salariés, d'Humain. Là où GlacialeDésincarnée était monocorde et le nez constamment dans ses papiers, DouéEtOpiniâtre interpellait, exposait sans jamais regarder ses notes, le verbe riche et la voix passionnée. Une plaidoirie magistrale !
Et puis il a fallu attendre : délibéré à deux mois. Attendre encore...

je vais vous épargner ces huit semaines d'attente. Elles ont été éprouvantes tant humainement qu'institutionnellement. SaBattreDebout et moi sommes allées directement au greffe du TGI ce jour là. Nous ne pouvions pas attendre que Maitre DouéEtOpiniâtre soit notifié et nous appelle ensuite. La greffière n'était pas très chaude pour nous donner la décision mais elle a finit par le faire.
On est sorties du bureau et on est restées sur le banc dans le couloir. Nous n'avons pas voulu aller directement à la dernière page, celle de la décision. Non, nous avons lu l'intégralité des cinq pages. Attendus après attendus. Et enfin... « déboutons MonAssoDavant de sa requête blablabla ». Ils étaient déboutés de leur demande et ils s'en prenaient plein la tronche. SeBattreDebout me regarde presque incrédule « on a gagné ! » et s'est mise à pleurer. Je n'ai pu que lui répondre « non, ils ont perdus » et me suis mise à trembler.
LePilier et SagePosée étaient chacun en réunion. Nous savions qu'ils avaient leur téléphone à portée d’œil et leur avons envoyé un texto.
Vous pourriez croire que j'ai été euphorique et soulagée ? Oui, pendant quelques minutes. Je ne me faisais aucune illusion. Ils allaient faire appel de cette décision. Et ils l'ont fait, la veille de la date d'expiration du délai d'appel.

Je suis partie quelques mois après...

Et aussi :
le CHSCT ne disposant pas de fonds propres, tous les frais d'avocats ont été réglés par l'employeur, c'est la loi. Au terme de la procédure en première instance, les frais cumulés des deux avocats équivalaient quasiment à la moitié du prix de l'expertise.

Les tentatives de médiations suite à la décision de première instance ont été mises en échec par le conseil d'administration (qui nous demandait de nous retirer de la procédure).

Sans les attestations et le courage de certain-e-s salarié-e-s, de certains médecins du travail aussi, jamais ceci n'aurait été possible. Merci à eux.

Maitre DouéEtOpiniâtre avait très rarement vu une décision de première instance aussi motivée et aussi précise. Lorsque la date d'appel a été connue, ils nous a informé que cela se ferait sous une forme inhabituelle pour un tel dossier : toute la Cours (chambre?) siégerait (j'ai oublié les termes précis, je m'excuse auprès des juristes). Cela montrait, d'après lui, l'importance du sujet.

J'ai été obligée de laisser nombres de faits pour vous relater ce combat là (qui a duré pas loin de deux ans), sous peine d'en faire un récit fleuve. Il y en a eu beaucoup d'autres que j'ai laissé de côté.

J'étais dans ma voiture sur une route du FFDMC lorsque le téléphone a sonné. SeBattreDebout venait aux nouvelles et m'en annoncer une aussi. J'étais partie depuis plusieurs mois déjà et j'avais mis un paquet de distance. Nous étions à une semaine de l'appel auquel j'avais prévu d'aller, malgré tout. MonAssoDavant se désistait de l'appel. Ils ont jeté l'éponge à quelques jours de l'audience devant la Cour d'Appel. Là, j'ai pleuré, j'ai ri et je suis allée me prendre une mine colossale chez des potes. Tout ça pour ça. Tout ça pour qu'au final, ils cèdent. Le pot de terre avait fait verser le pot de fer. « Victoire » douce-amère. Et à quel prix...
Le travail allait pouvoir commencer, mais ça, c'est une autre histoire à laquelle je n’appartenais pas...

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