Cela
faisait des mois que je voyais ce panneau à l’entrée de l’allée
de cette maison, pas très loin du boulot. Un panneau soigneusement
peint « rhubarbe à vendre ».
Aujourd’hui,
j’ai eu envie de rhubarbe (enfin, j’ai eu envie de faire de la
confiture de rhubarbe) et en fin de matinée, ni une ni deux je me
dis que je vais passer vite fait en acheter.
Je
me gare dans l’allée, au portail, et j’avance vers la maison. Pas
de sonnette mais un post-it dont l’écriture malhabile est
décolorée par le temps « passez par derrière - Merci ».
Me
voilà à passer vers l’arrière de la maison et à apercevoir les
plans de rhubarbe, gigantesques, le long d’une clôture. Sur la
porte de la maison à l’arrière, un autre post-it « entrez
sans frapper ». J’hésite et, réflexe idiot, je frappe puis
je me décide à pousser la porte au moment où celle-ci s’ouvre.
Un vieux monsieur avec des yeux bleus comme le ciel du jour,
casquette vissée sur la tête en jean’s, grosse chemise et
chaussons de jardin.
« Bonjour,
vous venez pour la rhubarbe ? Ça tombe bien, je viens de finir
de manger et vous arrivez avant ma sieste ». Il a l’œil qui
frise et il est sourd comme un pot.
On
met un moment à se mettre d’accord sur la quantité et il me
demande si je la veux maintenant. Je lui propose de repasser en fin
d’après-midi mais il me dit qu’il peut aller cueillir dans
l’instant. Que cela ne sera pas bien long…
Il
marche péniblement et m’explique que ses hanches sont fausses. Il
prend un vieux tabouret, pose dessus une vielle balance et dépose
une tout aussi vieille (mais parfaitement propre) panière à linge.
Puis il tire de sa poche arrière un bec d’oiseau, vous savez ces
petits couteaux à lame courte, recourbée un peu qui tiennent
parfaitement dans la main. Terriblement aiguisé celui-ci.
Tranquillement,
il choisit les tiges et tchac ! Elles s’empilent devant moi au
sol « c’est de la rouge hein, et bio !! Aucun
produit ! ». J’apprends qu’il a 95 ans, que sa femme
est morte il y a peu et que vieillir c’est pas facile puis qu’il
est un peu sourd aussi. Là, il me regarde en riant un peu « vous
aviez remarqué, non ? ».
A
le voir se courber pour ramasser les tiges et leur couper les
feuilles, je finis par les lui tendre l’une après l’autre,
tchac ! Et il les pose sur la balance… Croyez-moi, 2kg de
rhubarbe, c’est beaucoup de tiges !!!
On
repart vers la maison pour que je le paye et qu’il me les mette
dans un sac. Il me raconte que sa femme aimait manger des tartine de
beurre avec de la compote de rhubarbe le matin. Qu’il fait pareil.
Que la rhubarbe maintenant, c’est toute sa vie, c’est tout ce qui
lui reste. J’entends que c’est tout ce qui lui reste d’elle, de
leurs petites habitudes et de leurs moments.
Je
repars avec ma rhubarbe et un « à je ne sais pas quand
alors ! ». Mon achat de rhubarbe vite fait a duré près
de 40 minutes et m’a coûté moins de 6€. Mais j’ai surtout
rencontré un monsieur aux yeux très bleus et tristes, qui aime la
rhubarbe et qui maintenant qu’il est seul en a trop et en vend pour
améliorer l’ordinaire.
Peut-être
aussi que cela lui permet de voir du monde et de parler.
2kg,
c’est pas beaucoup de pots. Je crois que je vais encore avoir besoin
de rhubarbe rouge bientôt…
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