C'est
Kevin qui s'amuse pendant les récréations à soulever la jupe de
Marine ou de Léa. Parfois les instits voient quelque chose et crient
« Kevin ça suffit! » et parfois les adultes ne voient
rien. Marine ou Léa en ont parfois parlé à leur(s) parent(s). Les
réactions vont de « je vais aller voir la maîtresse » à
« mais c'est pour jouer » avec parfois « je vais
aller voir la maman de Kevin à la sortie de l'école » « non
s'il te plaît après il va encore plus m'embêter ». Dans le
meilleur des scénarios, Kevin finit par arrêter parce que les
adultes ont interdit/puni/crié. Marine ou Léa ne veulent plus trop
porter de jupes à l'école parce que si ce n'est pas Kevin, y'a Paul
qui les embête aussi. Ce sont des jeux d'enfants me direz-vous, pas
géniaux mais bien inoffensifs. Vraiment ?
C'est
Madame L. avec qui je parle pendant un entretien chez elle.
Christopher, 5 ans, est là. C'est mercredi. A un moment donné, il
vient se coller à sa mère puis lui saisit les seins à pleines
mains en serrant un peu fort. « Aïe Christopher, tu me fais
mal ». Christopher repart jouer en courant presque, comme il
était venu. Étonnée, je demande à Madame L. si son fils fait ça
souvent. Sa mère soupire et me dit que oui, qu'elle ne parvient pas
à ce qu'il arrête. Naïvement je lui demande « vous ne lui
dites pas non ? » … « il se met à crier et à faire
des colères quand je lui dit non. Je n'aime pas... ». Et vous,
votre corps dans tout ça ?
C'est
Marie qui est en pleine puberté à 11 ans et dont la poitrine
commence vraiment à se voir. C'est la fin de la journée et nous
discutons avec les parents de comment cela se passe avec les enfants,
l 'école et le reste. A un moment donné, Marie passe et son
père lui demande de venir. En riant, il me dit « elle pousse
des nénés, c'est presque une petite femme maintenant ». Marie
cherche à esquiver en parlant de devoirs à faire mais son père
l'interpelle « allez viens ici, vient montrer à Madame
Serval », la mère rit et dit à son mari de laisser leur fille
tranquille avec ça. Marie rentre ses épaules.
C'est
Killian qui du haut de ses 3 ans, commence à fouiller dans mon
cartable alors que je suis en train de parler avec sa mère. Je le
regarde et je secoue la tête. Il me regarde, hésite et recommence.
« Killian, non. Tu ne fouilles pas dans mon cartable. Ce sont
mes affaires et je ne suis pas d'accord », à nouveau il me
regarde et recommence. Je lui saisis la main tranquillement, redis ce
que je viens de lui dire en le regardant dans les yeux et referme mon
cartable de l'autre main. Il me regarde sans trop savoir si c'est du
lard ou du cochon. Il hésite à pleurer et regarde sans mère sans
trop savoir. Je vous passe les détails mais quelques minutes plus
tard, Killian est en train de gribouiller de bon cœur et sa mère me dit « vous êtes sévère avec les
enfants Madame Serval ».
Des
exemples comme ceux-là, j'en ai entendu chaque semaine pendant
toutes mes années comme éducatrice. La difficulté à
poser le non. Dire non, fermement, simplement, tranquillement, avec
conviction, sans crier mais poser la limite et l'interdit : NON.
Ce
matin, il y avait une émission vraiment intéressante sur le
harcèlement sexuel, avec entre autre comme invitée Marie Pezé (une
grande Dame…). Une femme a appelé et a soulevé la question de
l'éducation des enfants, de la manière dont les filles et les
garçons étaient élevés. Elle disait, en substance, que c'était
dès l'enfance que la question du respect, des limites et d'entendre
le non se posait.
Du
coup cela m'a fait remonter beaucoup de souvenir de discussions avec
des parents, avec des enfants, avec toute la famille sur la question
du non.
Ce
qui ressortait le plus souvent des échanges et qui m'interpellait
était que, aujourd'hui, les personnes ne savent plus dire « non » ou ne sont pas entendues lorsqu'elles le font. J'entendais que
certains enfants n'aimaient pas qu'on leur pose une limite
(au point d'en piquer des colères homériques). Pour les parents que
je rencontrais, dire non était difficile voire infaisable. J'ai
entendu plein de raisons et chacune faisait sens : on leur avait
trop dit non quand eux était enfants voire cela se faisait dans la
violence ; la peur que leur(s) enfant(s) croient que leur(s)
parent(s) ne les aime(nt) pas ; le fait que ce ne sont que des
enfants et qu'ils ont bien le temps ; la peur d'être jugés
voire d'être assimilés à faire preuve d'autoritarisme ; leur
donner ce que eux en tant que parents n'avaient pas eu ; que
parfois tenir un non c'est fatiguant…
Dire
non, c'est signifier des limites : les limites que l'on a pour
soi, les limites posées par les autres ainsi que les limites
(im)posées par la Société/les institutions.
Dire
non, c'est poser un marqueur : là c'est possible (= oui), là
on peut en parler (= peut-être, faut voir, on en reparle), là c'est
pas possible (= non). Dire non, c'est se positionner face à une
situation donné.
Dire
non, ça rassure et ça protège (autant l'adulte que l'enfant).
Maintenant,
il faut savoir le dire à bon escient de manière à ce qu'il soit
crédible et entendu. Sauf que pour apprendre à dire non, pour
apprendre à entendre non et apprendre à gérer la frustration qui
peut en découler et bien il faut que, en tant qu'enfant, on nous ait
dit non. Je disais ça quasiment à chaque fois aux parents :
dire non à votre enfant c'est lui donner la possibilité d'apprendre
à dire non aussi plus tard. Et c'est important d'apprendre à dire
non (je ne parle pas du non chez les petits qui passent par une phase
où le 1er mot du matin, toute la journée et jusqu'au
soir est « NON », j'en entends qui soupirent là
(courage, ça ne dure pas trop longtemps!!)...)
Mais
dire non, cela veut dire aussi prendre le temps, si besoin est,
d'expliquer en tant qu'adulte (pas s'excuser, par pitié!!) les
raisons du refus et entendre la frustration que cela peut générer
chez un enfant. Ben oui, sauf que vous voyez, aussi difficile que ce
soit, un enfant apprend ainsi qu'il-elle n'est pas tout(e)
puissant(e), qu'il-elle n'est pas celui-celle qui décide de tout et
que certaines choses ne se font pas. Il y a des limites et des
territoires. Il y a à respecter l'espace privé de chacun et
l'expression de son propre refus.
Du
coup, cela peut demander d'avoir à gérer et accompagner de sacrées
colères d'enfants. Oui, c'est ainsi et oui, ça peut être
totalement usant/épuisant.
Perso,
je préfère un enfant qui se met en colère car très frustré par
un refus mais qui apprend, qu'un adulte incapable d'entendre le non,
qui ne sait pas faire face à la frustration et passe outre les
limites des autres.
Je
ne vais pas reprendre les exemple que je vous ai raconté en vous
disant comment nous avons travaillé cette question mais à chaque
fois, il y a eu beaucoup de discussions sur la valeur du refus, la
manière de l'exprimer et la crédibilité qu'il avait (êtes-vous
convaincu(e)s ou non de son bien fondé ?). Et nous parlions
aussi beaucoup de la nécessité à respecter l'espace et le non des
enfants particulièrement quand ils grandissent et deviennent ados
(Marie par exemple).
C'est
difficile pour moi d'écrire un texte simple, sans entendre en
arrière fond tous les arguments que m'opposaient les parents au fait
que dire non c'était pas bien et que ça bridait les enfants et que
ça ne leur faisait pas du bien, qu'élever un enfant c'est pas le
dresser (Il y a tout de même une fichue différence entre poser une
limite et la coercition), etc. Chaque parent a son point de vue sur
les limites et sur le non. Le mien s'appuie sur mon expérience de
terrain (et de tata/amie/marraine/etc…).
Voilà
ce que l'émission de ce matin m'a inspiré et que je vous déballe
en vrac. Je vous invite vraiment à l'écouter ! C'était sur
France Inter à 10h.
Tout
ce que je vois, c'est que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes
de demain et que l'éducation qu'ils reçoivent aujourd'hui structure
les adultes qu'ils deviendront.
Hello, Je pense que c'est une affaire de génération. Je fais partie sûrement de la dernière qui savait dire NON si j'en juge les jeunes parents qu'on a autour de nous. Maintenant savoir dire NON est aussi important quand on est adulte notamment quand on a des clients qui réagissent comme des enfants gâtés.
RépondreSupprimer