Quand
je travaillais dans une exploitation agricole, j'ai remplacé pendant
plusieurs semaines une machine défaillante, appelée mireuse et qui
trie les œufs qui viennent d'être pondus. Des centaines de milliers
d’œufs chaque jours. J'ai manipulé à mains nues et sans masque
de protection des œufs couverts de merde de poule. Quand j'ai
demandé à avoir des gants on m'a dit, à peu presque, que j'étais
pas au Ritz. J'avais besoin de taffer. J'ai fermé ma gueule.
Je
pourrais vous faire une longue liste de ce que j'ai vécu au travail
mais cela n'est pas mon envie. Si vous lisez ce blog depuis un
moment, vous savez de quoi je parle, sinon, cela n'est pas très
grave car mon propos aujourd'hui n'est pas de rester centrée sur mon
expérience.
Le
travail… Je vais zapper l’étymologie et la définition de ce mot
« travail ». En psychologie du travail, les termes emploi
– activité – travail sont clairement différenciés (je vous
épargne le jargon et les définitions). On peut travailler sans pour
autant avoir un emploi salarié, par exemple. Ça vous paraît
incongru ? Une personne qui est au foyer à s'occuper de la
bonne marche de la maison, de toute la logistique, des enfants ?
En psycho du travail on dira qu'elle travaille mais sans pour autant
avoir un emploi salarié. Une personne bénévole dans une
association qui donne de son temps et de ses compétences ? Elle
travaille aussi. Et qu'en est-il des personnes dont le-la conjoint-e
a une activité professionnelle non salariée et qui aident sans pour
autant avoir de statut ? Elles travaillent également ! Et des
exemples comme ceux-là il y en a à la pelle !!
J'en
entends déjà qui réagissent fortement… Comment ? Être au
foyer est un travail ? Être bénévole est un travail ?
Aider sa-son partenaire dans son activité professionnelle est un
travail ? Je vous entends dire aussi, le travail, le VRAI, c'est
avec un contrat et une contrepartie financière. Ah oui ? Et les
personnes qui font toutes ces activités, c'est un hobby ? De
l'occupationnel ? Voyez les choses ainsi : que se
passerait-il, au niveau sociétal, si elles ne faisaient plus ce
qu'elles font ? Hop ! Du jour au lendemain, terminé !
Elles arrêtent tout ! Réfléchissez-y vraiment et on en
reparle si vous voulez…
Pour
la simplicité de mon propos je vais donc parler de travail dans le
sens communément utilisé pour désigner l'activité rémunérée.
On
nous impose propose donc une réforme du Code du
Travail parce que les lois qui protègent le travail seraient trop
contraignantes et bloqueraient l'économie et la sacro-sainte
croissance. Lorsque j'ai entendu ça, je me suis dit que une fois de
plus c'était les travailleurs (au sens de « ceux qui
travaillent dans le cadre d'un contrat quel qu'il soit » ) qui
auraient à s'adapter et qu'on avait vraiment dépassé le stade du
nivellement par le bas.
Il
paraît que ce vilain Code du Travail est un frein voire une entrave
à l'activité économique. Ah oui ? Vous en êtes certain-e-s ?
Oui, il y a des lourdeurs administratives colossales et c'est de pire
en pire. Oui, certains aspects de ce Code sont probablement à
regarder autrement et à amender. Mais libéraliser le droit du
travail au mépris de ceux qu'il est sensé protéger ? Je ne
dis pas qu'il ne faut pas toucher à ce Code, juste qu'il faut
arrêter de faire n'importe quoi.
Je
n'ai entendu personne dans les politiques, dirigeants, entrepreneurs,
employeurs, patrons remettre en cause la manière dont le travail
était organisé. Oui, et si c'était lié à des questions
d'organisation du travail et de gouvernance ? Pourquoi donc
modifier, encore, le droit du Travail au lieu d'aller se poser la
question de COMMENT on fait ce travail et COMMENT on pense son
organisation ?
Mais
pour cela il faudrait remettre en question un certain nombre de
choses dont la manière dont sont formés les futurs managers et
dirigeants d'entreprises. La France n'est vraiment mais alors
vraiment pas du tout reconnue dans les études internationales pour
les qualités managériales de ses cadres (je mets en lien en bas de
page deux articles de 2013 et 2015 sur cette question. J'ai eu la
flemme de chercher plus, je suis une buse en recherches). Quand je lis
que Bolloré considère que la terreur fait partie des méthodes pour
diriger une entreprise, les bras m'en tombent.
Pourtant,
il existe des entreprises qui ont fait le choix d'organiser le
travail autrement. Des personnes ont eu le courage de se dire qu'il
fallait penser l'organisation de travail différemment. Non seulement
cela a été pensé mais cela a été appliqué. Et ça
marche ! Elles sont économiquement viables, performantes,
dynamiques. L'organisation du travail y a été repensée. Elles
pratiquent souvent le bottom-up :
les idées viennent de la base. Les personnes qui sont aux postes de
travail sont consultées, on leur demande leur avis sur ce qu'elles
font et comment elles le font. Car * attention
enfonçage de porte ouverte
* qui mieux que la personne qui est toute la journée sur une
machine ou à faire une tâche spécifique sait de quoi
il retourne et connaît son métier ?! Quand
allons-nous arrêter de penser que les « sachants » sont
les cadres, les directeurs ou les ingénieurs et que les employés
sont des masses inéduquées qui ne comprennent rien et qui n'ont
rien à dire ? Là
encore : pensez-vous vraiment que les usines/entreprises
tourneraient bien si les employé-e-s
se contentaient d'exécuter des tâches prescrites sans
l'intelligence du métier ? Que ceux qui sont encore persuadés
de cela lèvent la main et
partent se cacher honteux…
J'ai
lu deux livres au cours des derniers mois qui m'ont fondamentalement
fait regarder l'économie autrement : « Le syndrome du poisson lune » de Emmanuel Druon et « les entreprises humanistes » de Jacques Lecomte.
Je
ne suis pas économiste, je m'intéresse assez peu à la science de
l'économie. Mais là, j'ai découvert qu'il était possible
d'allier, à grande échelle, organisation du travail
pertinente/collaborative/participative/etc. et profits. Des
entreprises ont fait des choix courageux qui ont pu paraître fous et
pourtant aujourd'hui elles sont pour certaines leaders sur leur
marché. Saviez-vous que Groupe Up (les chèques déjeuners vous
connaissez forcément!) est une coopérative ? Ils sont juste
un petit peu super bons dans leur domaine (en 2014, ils ont fait 317 millions de chiffre d'affaire).
Faire
du business autrement tout en conservant le profit est possible. Mais
pour cela, il faut du courage. Ne pas se dire que diriger une
entreprise c'est du pouvoir, de l’ego et du « je suis
l'unique personne qui sait ce qui est bon pour vous et mon
entreprise ». Diriger une entreprise n'est pas régner en
maître absolu, enfin, je ne crois pas.
Personne
ne connaît mieux ce qu'il-elle
fait que la personne qui le fait = l'intelligence
pratique est une richesse pour peu qu'on accepte de regarder,
d'écouter et d'apprendre. Les relations entre employeurs et employés
sont si dégradées aujourd'hui que chacun est retranché sur ses
positions et plus rien ne bouge. On est entré dans le cercle
infernal Persécuteur
– Victime – Sauveur (le
triangle de Karpman, vous connaissez?)
et personne ne sait comment en sortir ou ne le veut. Selon la place à
laquelle on se trouve soit c'est « méchant patron – gentils
/ pauvres salariés » soit c'est « profiteurs/ méchants
salariés – gentil patron ». Un peu simpliste, non ?
On
ne négocie plus : on veut faire céder l'autre.
On
n'écoute plus ce que l'autre a à dire : on cherche juste à
contrecarrer ses arguments sans chercher à comprendre ce qui est
exprimé.
On
n'est plus en Démocratie : c'est l'épreuve de force.
Donc
j'en reviens à ce que je disais : avant de modifier le Code Du
Travail et si CeuxQuiCroientToutSavoir se penchaient
plutôt sur l'organisation du travail ? Mais cela demande du
courage, d'être visionnaire et de sortir de sa zone de pouvoir si
grisante. Cela demande de ne pas vouloir avoir que le pouvoir et
gouverner seul-e. Cela demande de travailler et de réfléchir,
ensemble.
Alors
oui #OnVautMieuxQueÇa
parce
que c'est possible de faire les choses autrement !
Pour aller plus loin :
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