mercredi 29 août 2012

Tout ça, c'est à cause de Delphine!

Quand j'y repense aujourd'hui, tout a commencé il n'y a pas loin de six ans. Je ne sais pas ce qui m'a pris ce jour là mais j'ai décidé de faire un bilan de compétences, sans en informer mon employeur.

J'ai contacté l'organisme paritaire dont je dépendais, j'ai rempli le dossier, pris contact avec des boites qui faisaient ça. J'ai commencé la valse des rendez-vous, pour choisir. Oui, c'est ce qui était bien : à partir d'une liste agréée, je choisissais dans quel cabinet de formation/conseil/consultants/charlatans je voulais aller. J'avais droit à une heure « gratuite » chez autant de prestataires que je voulais, pour me déterminer.

Quand j'y repense aujourd'hui, ce qui m'a plu chez elle, c'est qu'il n'y avait aucun a priori, aucune condescendance ni aucune impatience. Elle m'a écouté sans jamais regarder sa montre. Son téléphone n'a pas sonné une seule fois. J'avais tant et plus de questions et elle a répondu. Cette heure là était pour moi, ne rapportait rien à sa boite mais j'étais la personne importante de l'heure en cours.


Ce bilan de compétences, je l'ai fait sur mon temps personnel. Les RTT c'est bien pratique. Est-ce que ce bilan m'a fait découvrir une envie de métier enfouie au fond de moi que j'ignorais ? Non, absolument pas. En revanche, entre le premier et le dernier rendez-vous, je me suis construite une colonne vertébrale professionnelle. Delphine m'a tendu un miroir et quand je m'en détournais, elle était là à me le tendre encore. Je m'échappais et pensais l'avoir semée, elle était toujours là avec son fichu miroir.
Et Delphine m'a accompagné dans "mettre des mots sur mes compétences". Je suis passée de « bah, boh, c'est le boulot quoi, ça fait partie du métier » à « c'est le métier et j'ai des ressources et des richesses ». Elle avait une expression pour qualifier ça « le syndrome Jeanne d'Arc », comme une espèce d'abnégation sacrificielle dans l'exercice du métier et une non reconnaissance du travail engagé. Rien à voir avec une vocation, non non. Plus quelque chose à voir avec l'engagement et la non reconnaissance de soi. J'ai découvert mon métier au travers des compétences que cela demandait. J'ai enfin pu mettre des mots dessus et non plus juste des moues embarrassées et des haussements d'épaules.

Quand j'y repense aujourd'hui, c'est ce jour là que je suis née. J'étais depuis cinq ans en poste, avec des collègues incroyables dans l'exercice de leur métier et d'une humanitude infinie. Je me suis sentie pendant cinq ans la petite nouvelle, le bébé de l'équipe. Être la plus jeune n'arrangeait pas les choses.
Pourtant, ils ne me dédaignaient pas, ne me déconsidéraient pas, ne jugeaient jamais. J'avais toute ma place dans l'équipe et ma voix comptait autant que la leur. Sauf que, je doutais constamment, je n'osais pas. Je les admirais tant dans qui ils étaient et ce qu'ils étaient que je m'étais persuadée ne pas valoir grand chose, malgré ce qu'ils me disaient. Je me sentais comme une imposture. Lorsque je parlais, ça n'était qu'un couinement étranglé ou alors des pétages de plombs désordonnés et improductifs.

J'ai appris à me tenir droite psychiquement dans la représentation que j'avais de mon métier. J'ai gagné en densité, en confiance. J'ai appris à projeter ma voix, à parler haut, à canaliser ma colère. J'ai appris à accepter que l'on me remercie et que l'on me crédite dans mon travail. J'ai appris à verbaliser mes désaccord sur la politique de l'employeur et les choix faits.
Ne pensez pas que je sois devenue une super éduc' sûre d'elle, traçant sa route comme un navire amiral, pétrie de certitudes. Là, il aurait fallu m'achever à coups de pelle. Non, j'ai juste appris à ne plus me sentir mal de dire « je ne sais pas », à mieux tenir la pression institutionnelle et partenariale, à faire confiance à mon jugement. J'ai pu parler de mes failles, de mes manquements, de mes erreurs avec mes collègues sans avoir l'impression de me désintégrer à chaque fois. Et quand je sentais que je glissais, j'allais les voir et on en parlait, tout simplement. Bref, j'ai grandi.

Avec Delphine, non seulement on causait compétences et envies (pro, bien sûr!) mais on bossait aussi sur mon CV.
Notre relation s'est terminée lorsqu'elle a posé son miroir, écrit ses conclusions et que nous en avons parlé. Il s'est ensuite passé un an de tergiversations. Alors, ces études que j'aimerais bien faire, j'y vais, j'y vais pas ? En suis-je capable ? Retourner à l'école après tant d'années alors que je n'avais jamais été très bonne ? Et ça moulinait dur sous mes mèches blondes, puis auburn, puis...le temps passait, mes couleurs de cheveux changeaient et j'oscillais d'hésitation.

Quand j'y repense aujourd'hui, mon DG avait eu du nez lorsque à mon entretien d'embauche il m'avait dit « vous êtes une emmerdeuse vous, non ? » Visionnaire... il aurait vraiment mieux fait de ne pas m'embaucher.
Parce qu'avec ma nouvelle colonne vertébrale et l'assurance que j'avais gagné, je suis devenue représentante du personnel, dans deux instances. Puis je me suis recentrée sur une seule. Je pensais que c'était la plus intéressante. Je n'avais pas idée. Je suis même devenue Secrétaire de l'instance. Et ça nous a mené loin avec les collègues élus, dans une guerre violente et sans pitié avec notre employeur. Malgré ce que nous avons eu à subir, nous avons tenu bon. Je me suis découverte carnassière, froidement stratège et inflexible, obstinée et bagarreuse.

Et puis, à peu près dans le même temps, j'ai mis mes mains devant mes yeux, j'ai serré les dents et j'ai sauté. J'ai repris des études. Je ne suis pas tombée. Mais mon taux de stress est monté en flèche. J'ai rencontré des personnes d'horizons variés. Nous nous sommes retrouvées à quatre à travailler ensemble, rire, douter, faire la route, manger, boire, nous triturer les méninges, célébrer, exulter, rentrer tard, avoir froid, danser ensemble. Quatre femmes d'horizons totalement différents et un but commun. Sans elles, je n'y serais probablement pas arrivée. Pas aussi vite en tous cas. Pas aussi bien non plus.

Quand j'y repense aujourd'hui, j'étais inconsciente et folle. Ça a duré pas loin de trois ans. En trois ans, j'ai fait ma révolution. Et j'ai fini par dire stop. J'étais arrivée au bout d'un cycle et si je voulais grandir encore et m'épanouir, je devais baisser pavillon et passer à autre chose.
Se battre fait tenir debout. Se battre fait avancer, réfléchir, progresser. Se battre épuise et décompose. J'ai transmis les armes à d'autres, non sans avoir livré la dernière bataille qui m'importait.

Quand j'y repense aujourd'hui, mon dernier jour dans cette vie là-bas a été mon premier dans cette vie, ici et maintenant. Aucun regret.
Quand j'y repense aujourd'hui, en fait, tout ça, c'est à cause de Delphine !
Quand j'y repense aujourd'hui...je veux penser à demain.

9 commentaires:

  1. Le syndrome de Jeanne d'Arc, ... je retiens :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne crois pas que ce soit un truc "connu". c'était ses mots à elle :-) Mais très représentatif du milieux des travailleur sociaux, hélas

      Supprimer
    2. Vu comment est ma femme je dirais même que c'est le syndrome de Genevieve.
      Je me demande même si on ne peut pas élargir à toutes les femmes.

      Supprimer
    3. A toutes les femmes, non. J'en ai rencontré qui vraiment ne correspondaient pas à ça. Geneviève...un prénom que j'affectionne particulièrement :-)

      Supprimer
  2. ce que je retiens sans doute dans ce texte c'est la notion d'imposture... un ressenti que j'ai parfois (souvent)... Il est des rencontres qui font grandir, qui font se découvrir, qui changent la vie. Tout ne serait il qu'affaire de rencontre finalement ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne sais pas si je le verbaliserais exactement comme ça car c'est multifactoriel mais tu as raison : nous sommes des êtres sociaux en interactions constantes donc la rencontre de l'autre est importante, primordiale même!

      Supprimer
    2. oui j'exagère souvent :) je voulais dire que c'est là un facteur déterminant par rapport à d'autres et qui peut parfois tout changer. cela donne d'ailleurs le vertige d'y penser :)

      Supprimer
  3. Je ne comprends pas tout, dans la mesure où je ne sais pas quel boulot tu quittqis, et vers lequel tu te dirigeais, mais c'est drôlement intéressant. Ça montre qu'il faut s'accrocher.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci :-) (j'en ai parlé dans des billets précédents de mon boulot d'avant ;-) )

      Supprimer