vendredi 18 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (2/2)


Dans une situation comme celle-ci, une note (c'est le terme technique) circonstanciée et détaillée est adressée au juge des enfants. Avant, nous en avons parlé en équipe (chef de service, collègues, psychologue) longuement. Écrire une note oui mais quelles conclusions ? Continuer la mesure en cours ? Renforcer la mesure éducative ? Demander le placement ? Placement en urgence ou non ? La décision appartient au magistrat.

Je reviens sur ce que je sentais depuis longtemps. Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait ? Étais-je trop proche ? Ma collègue détaille de manière très clinique nos interventions ainsi que les contacts pris avec l'assistante de service social, la PMI (protection maternelle et infantile), l'école, les écoles. Quelque part, cela me sort de ma spirale de doutes et m'aide à regarder presque froidement ce que nous avons fait, mis en place dans cet accompagnement.
L'éclairage de la psychologue est important. Perverse narcissique, relations toxiques, père sous influence, intégrité psychique, construction identitaire, individuation... Autant de mots et de concepts qui prennent tout leur sens et qui viennent légitimer certains de mes ressentis. D'autres sont d'un autre registre, n'appartiennent qu'à moi.

Après une très longue réunion et beaucoup d'échanges, de doutes, d'interrogations, notre chef de service a tranché. Demande d'audience en urgence aux fins d'envisager de confier la mineure Miss Papillon aux services de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). En langage ordinaire, demande de placement en famille d'accueil.

jeudi 17 mai 2012

Je l'appelais Miss Papillon (1/2)


Lorsque je l'ai rencontrée la première fois, elle avait à peine cinq ans. Elle vivait chez son beau-père à qui elle avait été confiée après la mort de sa mère quelques années plus tôt. Il y avait aussi une petite sœur, née du mariage de cet homme qu'elle appelait « Papa » avec sa maman. Une vie simple mais si chaleureuse.

Elle savait bien pourquoi je venais, elle en avait vu d'autres avant moi. Depuis d'aussi loin qu'elle s'en souvienne et même avant. Petit gabarit, fine avec de grands yeux. Une grâce rare comme j'ai pu en voir chez certains enfants. Quelque chose qui ne se décrit pas. Paradoxalement, je ne me souviens pas de la couleur de ses yeux ou d'autres détails.
Elle m'observait pendant les salutations d'usages entre adultes, debout derrière une chaise dont le dossier ne me laissait voir que des bouts d'elle. Je me rappelle avoir posé ma sacoche rouge, être allée la voir et m'être penchée. Ses yeux dans les miens et quelque chose d'interrogateur, une attente.
Lorsque j'allais dans les familles, je ne faisais que très rarement la bise aux enfants, sauf lorsque vraiment ils me connaissaient très bien ou qu'ils y tenaient absolument. Après tout, j'étais « l'éducatrice, « la dame », « le service éducatif » mais je n'étais pas de la famille. Je considère que faire la bise à un enfant est quelque chose de personnel, d'intime presque.
Sinon, le rituel était toujours le même « alors, comment on se dit bonjour ? », parce que oui se dire bonjour est important (au revoir aussi d'ailleurs). Serrer la main, faire un coucou de loin, juste se dire bonjour ou alors mon petit truc à moi, ma manière de leur dire bonjour, le « bonjour papillon ». Elle a eu l'air étonnée, elle n'avait jamais entendu ça ! Ok pour le bonjour papillon. Je lui montre avec un clin d’œil, on agite nos doigts en s'effleurant à peine. Elle m'a alors laissé voir sa lumière et son sourire a irradié. Le mien n'a pu que lui faire miroir. Je suis devenue « Madame Papillon ». Cela a été notre rituel pendant plus de trois ans.



jeudi 3 mai 2012

Quand l'âme erre (&) monte


Ça commence comme un friseli à la surface de l'eau, le bruissement d'une aile, un souffle dans le cou. C'est comme un frisson imperceptible qui en annonce les prémices.

Je peux le percevoir si je suis disponible à ça ou ne rien capter ou alors même l'ignorer. Cela peut arriver n'importe où et n'importe quand. En voiture, seule, accompagnée, sur la Ligne, dans les vestiaires, en soirée...

Mais cet appel ne se laisse pas écarter sans y revenir. L'imperceptible s'affirme et gagne en force. Il envahit tout le corps, démange les mains, crée l'impatience. L'indifférence n'y fait rien. Il finit par m'attraper toute entière et m'oblige à le reconnaître.

dimanche 29 avril 2012

Rencontres


Avant l'Uzine et Cotcotte, j'ai travaillé dans une autre usine. Ma mission n'a pas duré bien longtemps, ce sont les aléas de l'intérim. Mon job consistait, alors, à coller des étiquettes sur les produits qui défilaient sur un tapis (environ 10 000 étiquettes jour!). Pas vraiment de tenue particulière. Bruit limité. La possibilité de discuter, donc.

De ce bref passage, il me reste deux visages, deux histoires, deux récits.

dimanche 22 avril 2012

Sur la route


Travailler en 2X8, c'est découvrir tout un monde que je n'imaginais pas. La première fois que j'ai commencé à travailler en usine, je me disais que j'allais être seule sur la route, à 4h15 du matin...
J'avais tort ! Dans ma région, sur la route à cette heure ci, il y a du monde ! Il y a ceux qui partent prendre leur poste, il y a ceux qui rentrent après une nuit de travail. Il y a ceux qui travaillent déjà : chauffeurs de taxis, ambulances, chauffeurs, livreurs...La France qui se lève tôt ou qui se couche tard.

Dans mon village, je suis la seule à partir dans ces horaires. Je fais du bruit et je trouble la quiétude ambiante...Je croise les chats du quartier qui rentrent après leur folle nuit. Il m'est arrivé de croiser Bambi, un renard, des chouettes (ou hiboux, difficile de faire la différence), un ragondin, Panpan, un raton laveur et des petites bestioles indéterminées qui traversent à toute vitesse. Point d'humains cependant, pas sur les petites routes qui me mènent vers l'axe principal.

mercredi 18 avril 2012

You can leave your hat on


Travailler en usine, avec des horaires décalés et tout ça, ne veut pas dire que cela se passe mal. Il y a des moments où c'est l'horreur, d'autre où l'on se fait engueuler, mettre la pression, planter par les collègues. Il y a des moments de désœuvrement. Oui, il m'arrive d'être payée à rien faire ou à faire semblant. Il y a les moments ordinaires, d'un huit à l'Uzine. Il y a des moments d'ennui, mais d'ennui. Quand je ne suis pas sur la Speed mais à un autre poste ou alors que la ligne débite au ralenti. Il y a du travail, donc, mais juste pas assez pour avoir les yeux rivés à l'horloge qui nous nargue sur le mur en face. C'est une abomination cette horloge. Parfois, elle fait exprès de reculer, j'en suis sûre !

Et puis, il y a quelques bons moments. Pour que vous compreniez, le planning est fixé pour une semaine et les équipes sont constituées pour une semaine. Chaque semaine, cela change. Dans les faits, une fois que c'est établi, c'est plus ou moins le même qui est affiché chaque semaine. Ce qui change surtout, c'est la/le chef de ligne. Donc, je travaille, à quelques variations près, toujours avec les même, lorsque la Speed tourne (parce qu'elle ne tourne pas tous les jours).

Les filles de la ligne Speed.

dimanche 8 avril 2012

Ne pas douter


Lorsque j'ai fait le choix de changer de vie, à mi parcours de vie, c'était pour réaliser un de mes rêves, pour vivre autrement et mieux, pour retrouver la santé : J'ai préparé ce projet, à minima. J'ai déménagé, démissionné et je suis arrivée où je voulais être. Le reste suivrait.

Je ne doutais de rien.

Les mois ont passé, je me suis installée, j'ai trouvé quelques marques. La maison ne désemplissait pas. C'était les beaux jours puis la période des vacances. C'était idyllique. La maison (installer, bricoler, décorer), le jardin (planter, biner, tondre, tailler, admirer), les journées passées dehors au soleil, les barbecues, les longues balades, aller voir les uns et les autres. Dormir, à nouveau. Respirer librement, à nouveau. Rire, à nouveau.
Je ne cherchais pas encore de travail, mais ça serait facile. Je pensais qu'en intérim, quand tu n'es pas regardante, tu trouves.

Je ne doutais pas.