jeudi 8 janvier 2015

Onze hommes et une femme

J'ai la gueule de bois et pourtant je n'ai rien bu. Hébétée, groggy avec une forte envie de dire au monde entier « allez vous en ! ».
Hier encore, je me suis réveillée en me disant que, quand même, il était temps que j'écrive une petite bafouille pour des vœux et 2015. Aujourd'hui, je me réveille avec l'envie d'écrire mais je ne sais pas quoi. Je ne sais pas dessiner mais je sais écrire.

En 1986, lorsque la bombe a explosé rue de Rennes, j'étais rue d'Assas avec une copine. Je ne sais plus quelle heure il était ni ce que nous y faisions mais j'étais au lycée pas très loin donc je me baladais beaucoup dans tout ce quartier. Il y a eu un bruit et j'ai eu la chair de poule sans comprendre pourquoi. « Tu as entendu ? ». Les sirènes des véhicules ne se sont pas faites entendre tout de suite en fait. J'ai l'image en tête du boulevard de Port-Royal fermé à la circulation des voitures et le ballet incessant des véhicules de secours toutes sirènes hurlantes. Dans le 91 qui me ramenait, je les voyais passer et je tremblais. Lorsque je suis enfin arrivée chez moi, là-bas du côté de la Mouffe, ma mère est devenue livide en me voyant car apparemment j'étais grise. Je me suis effondrée en larmes sans parvenir à me calmer pendant longtemps. Ma représentation du monde a volé en éclat ce jour là. Il y a eu d'autres attentats par la suite. Il y avait un climat de peur et de défiance assez impressionnant. Sortir, prendre le métro, vivre, tout cela était un acte de résistance à la peur.

Hier, tout est remonté d'un seul coup. Les images me sont revenues et surtout la peur. La peur des clans. Au-delà de cette tragédie sans nom, des douleurs et des colères, je crains plus que tout que les clivages, les suspicions, les amalgames et les raccourcis ne nous envahissent avec la peur comme combustible.
Je me sens en insécurité mais je vais combattre cela en continuant à vivre et à faire ce que je veux faire. La peur ne gagnera pas. Je vais la regarder en face et lui faire la nique.
Je suis en colère car 12 personnes sont mortes pour leurs convictions. Elles sont mortes en faisant ce qu'elles avaient à faire. Rien, absolument rien ne justifie ce qui s'est passé et ce que j'ai pu lire sur Twitter hier m'a parfois mise encore plus en colère « oui mais s'ils n'avaient pas été si loin ». RIEN, JAMAIS, NE JUSTIFIE CE QUI S'EST PASSE.
Je suis triste car 12 personnes sont mortes et beaucoup d'autres sont blessées. Parmi toutes ces victimes, il y a des personnes connues par tous qui symbolisaient la liberté d'expression et qui luttaient avec leurs crayons et leurs mots pour la liberté de la presse. Il y a aussi des personnes inconnues de nous mais connues et aimées par d'autres.
Je suis plein d'autres choses aussi mais je ne trouve pas les mots.

Je ne suis pas Charlie mais #JeSuisCharlie … Chacun-e accrochera à ce hashtag le sens qu'il-elle voudra. Beaucoup, emportés par la vague d'empathie, d'émotion et d'indignation, l'afficheront sans forcément y mettre un sens particulier, par solidarité ou pour faire comme d'autres.
Je ne suis pas Charlie mais #JeSuisCharlie … Pour moi, cela veut dire que je ne m'inclinerai pas ou ne me coucherai pas par peur. Charlie Hebdo, je ne l'ai pas lu régulièrement car je ne l'aime pas plus que ça. Je suis plus Canard que Charlie mais peu importe. J'ai trouvé parfois qu'ils y allaient fort. Je trouve le journal irrespectueux, irrévérencieux voire parfois vulgaire MAIS je n'ai jamais remis en question le fait qu'ils ont la liberté de s'exprimer. Je me suis parfois sentie heurtée par certaines de leurs Unes, bon ok mais c'est aussi le jeu de la liberté d'expression.
Je ne suis pas Charlie mais #JeSuisCharlie … Je défends et défendrai la liberté d'expression encore et toujours même si je ne suis pas d'accord avec ce qui est dit. La pensée unique, formatée, imposée, dogmatique ou que sais-je encore c'est la mort de l'esprit et de l'humanité. C'est notre mort à tous.

Je crois que nous allons entendre beaucoup de choses dans les semaines qui viennent. Malheureusement il y aura du moche et du nauséabond. Je crains qu'il y ait beaucoup de récupérations et d'instrumentalisations.
Résistons ! Résistons aux amalgames et à l'hystérie collective. Résistons à l'envie de répondre à la violence par la violence. Résistons à l'envie de vengeance. Résistons à l'envie de faire aussi mal que nous avons peur. Résistons aussi à la fatalité et au fatalisme.
Tout ce que j'espère, c'est que l'émotion ne devienne pas seule conseillère et qu'elle ne sera pas guide unique des décisions qui seront prises ou des propos qui seront tenus.

Je cherche mes mots et tout ce qui me vient ce sont des souvenirs de Cabu dans Récré A2, la voix de Bernard Maris le vendredi matin, des dessins qui m'avaient fait rire et l'envie de ne pas me taire car je veux m'exprimer haut et fort même si c'est pour dire des banalités ou des insanités.
Je cherche mes mots et je n'ai que des pensées qui tourbillonnent. Je pense aux victimes, à leurs familles, aux blessés, aux familles des blessés et aux survivants. Je pense à nous tous. Je pense à demain.

Pour finir, parce qu'ils étaient des personnes avant de devenir des symboles :

Frédéric Boisseau, agent d'entretien
Franck Brinsolaro, brigadier au service de la protection
Jean Cabut, dit Cabu, dessinateur
Elsa Cayat, psychanalyste et chroniqueuse
Stéphane Charbonnier, dit Charb, dessinateur
Philippe Honoré, dit Honoré, dessinateur
Bernard Maris, économiste et chroniqueur
Ahmed Merabet, agent de police
Moustapha Ourrad, correcteur
Michel Renaud, fondateur du festival « Rendez-vous du carnet de Voyages »
Bernard Verlhac, dit Tignous, dessinateur
George Wolinski, dessinateur



3 commentaires:

  1. J'arrive après la bataille par le lien sur mon blog (comme quoi ça sert) mais je n'ai pas vu d'annonce pour ce billet. Comme d'habitude beaucoup de sensibilité ....

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