vendredi 8 février 2013

Autre jeu d'écriture de Sophie Gourion - ma participation

A nouveau, Sophie Gourion propose un nouveau jeu d'écriture sur son blog. Cette fois-ci, elle nous propose un exercice à partir d'un incipit (= la première phrase d'un livre). Celui-ci est : "Le camion avance" (incipit du livre de Jacques Lanzmann "Le dieu des papillons").
Voici ma participation :



Le camion avance. Je l'ai vu passer une première fois sur la route au loin, lentement. Le chauffeur devait chercher l’embranchement. Il a disparu dans la descente et j'ai prié qu'il se perde pour de bon. Il fait si doux aujourd'hui et le soleil monte paresseusement de l'horizon. Ça sent bon la rosée de la nuit qui s'assèche sur les vignes.

J'entends un moteur à nouveau. Revoilà le camion. Il ralentit et tourne dans le chemin. Le camion avance puis fait sa manœuvre et finit par s'arrêter. Ils sont trois. Le plus âgés a une casquette qu'il enlève lorsqu'il me salue. Ses mots roulent comme les galets du fond du fleuve et chantent. Les deux autres semblent à peine sortis des jupes de leur mère, embarrassés dans leurs salutations, patauds et pourtant si costauds.

C'est là qu'elle s'avance et commence à organiser les choses. Je ne suis que la fille. Je ne décide de rien.

Je m'éloigne et part errer sur le coteau. Ce cul béant, tourné vers les portes grandes ouvertes de la maison m'insupporte. Je me refuse à le voir engloutir les pans de mon enfance remisés dans des boites ou sanglés sous des couvertures. Il y a quelque chose d’obscène à ce va-et-vient de bras qui charrient mes tendresses au mépris de ma tristesse.

J'ai oublié mes chaussures, comme souvent. Je m'assois sur le sol qui s'échauffe et enfouis mes pieds dans la terre autant que je peux. Je m'embrasse et me contiens. Une mélodie faite d'oiseaux, de moissons, de vaches et de rires me berce et le soleil me cajole. Le temps me fait croire qu'il s'arrête un instant.

Ses appel me font émerger. Je dois y retourner. Il est l'heure.

Les portes claquent et le moteur grogne. Dernières salutations et casquette de nouveau en place. Elle est à sa voiture , prête au départ. La mienne attend. On se rejoindra plus tard. J'ai obtenu de rester pour fermer la maison.

Sa voiture tourne au bout du chemin. Le camion s'éloigne. Le silence reprend ses droits. Le vide s'avance et m'engloutit.


Morning Sun - Edward HOPPER

10 commentaires:

  1. Toujours dans la sensibilité. Super.
    Du coup, cela m'a inspiré et j'ai jeté ces quelques lignes
    Le camion avance. C'est un de ces combi Volkswagen des années 1960. Les dessins psychédéliques peints à l'origine ne représentent plus qu'un voile léger piqueté par la rouille. Le vieux moteur fait entendre une musique que l'on entend plus depuis l'avènement du tout électrique. Les banquettes usées ont dû sentir passer des milliers de fesses de tout poids et de toutes formes.
    Tiens, il y a deux passagers ce qui est rare. Ils ne sont manifestement pas les premiers propriétaires car trop jeunes. Ils ont quand même dépassé la cinquantaine. Ils se sont mis sur leur 31 comme s'ils allaient à une fête mais leur expression est d'une tristesse sans nom. Elle contraste beaucoup avec leur mise et leur véhicule.
    Je note dans ma base de donnée : 8 février 2060 - Volkswagen - 745 MG 59 (beaucoup de véhicule du Nord en ce moment) - 2 personnes. Puis je lève la barrière.
    Le camion avance. Il roule encore 50 mètres et bascule dans le vide, du haut de la falaise. On entend le bruit des rebonds sur la paroi, un bruit métallique à la fois de déchirement et de compression. On imagine aisément les corps déchiquetés par la violence des chocs; on n'a jamais retrouvé de survivant. Un dernier bruit comme un point d'orgue et le silence retombe simplement interrompu par le cri des goélands. Saleté de crise.
    Le camion suivant avance.

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    1. Oh wow! Puissant ton texte... Faut que tu ailles le publier chez Sophie!! ;-)

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    2. Patrick, tu m'impressionne ! Superbe texte !
      Calamitysophie

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    3. La chute (si je puis dire) de l'histoire est assez scotchante ! Légèrement pessimiste ce je puis me permettre : j'espère qu'on sera sorti de la cris en 2060 !

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  2. En froid et c'est juste parce que c'est venu rapidement

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  3. Encore un très joli texte, bravo
    Calamitysophie

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  4. Quand un texte fait ressentir une émotion, c'est tout bon ! Ici nostalgie et colère mélangées, j'ai aimé !

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