lundi 3 décembre 2012

Burn Out

Cela m'a pris presque un an pour accepter de pouvoir le dire à voix haute sans en avoir honte : Burn Out (burn-out, en fait).
Lorsque j'ai démissionné de mon poste d'éducatrice spécialisée, de mon « boulot d'avant » c'est parce que j'en étais arrivée à un stade avancé d'épuisement professionnel. Voilà, j'arrive à le dire, à l'écrire même et à le relire sans avoir ce sentiment de culpabilité qui m'a rongé pendant longtemps.
Épuisement professionnel, burn-out...c'est la même chose sauf qu'en anglais ça claque, c'est percutant.
Ça n'est pas arrivé du jour au lendemain. Ça ne vient pas toquer à votre vitre un jour au feu rouge ou alors que vous marchez dans la rue genre « Chat ! C'est toi ! ». C'est un processus long, insidieux et qui prend son temps. Je serais incapable de dater précisément quand cela a commencé. En revanche, je me souviens quand j'ai pris conscience que quelque chose n'allait pas mais alors pas, plus, du tout.

J'ai toujours été une personne entière et engagée dans mon travail. Quand quelque chose m'intéresse, je n'y vais pas du bout de l'orteil. C'est ce qui fait ma force et ma fragilité. Éducatrice spécialisée en milieu ouvert, c'était mon kif. J'ai découvert « mon » métier à ce moment là, lorsque j'ai été embauchée dans l'association. J'avais bien travaillé dans le milieu du handicap auparavant mais lorsque je suis entrée à MonAssoDavant, ma vie a changé et même si cela a été parfois difficile, je n'en regrette pas une seule minute. Je crois que, grâce à ces années, je suis devenue une meilleure personne et une bonne professionnelle.
Ne venez pas me parler de la nécessaire distance et de la distance nécessaire dans ce boulot dont on nous rebat les oreilles et que l'on m'avait consciencieusement entré dans le crâne en formation. Je sais. J'ai juste appris à faire autrement, en conscience, avec lucidité et professionnalisme. Car oui, on peut être engagé dans son boulot en étant très pro. Je ne suis pas entrée dans ce métier comme on entre dans les ordres ou par je ne sais quelle vocation. J'étais bien éducatrice spécialisée et pas dame patronnesse.
Seulement, au fil des années, des réformes fondamentales de la protection de l'enfance sont survenues, les moyens mis à disposition ont drastiquement chuté et le milieu du travail social a commencé à être managé différemment. Bref, il y a eu des bouleversements qui ont sacrément modifié notre manière d'accompagner les familles et, malheureusement, pas en mieux.


A un moment donné, j'ai choisi de me présenter à des élections et je suis devenue membre du CHSCT de la structure qui m'employait. CHSCT : Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail. Après un premier mandat, j'en ai fait un second. Et j'ai été désignée Secrétaire de l'instance. Grosse responsabilité. Le contexte était moisi et le CHSCT faisait rempart. Je vous en parlerais, un autre jour. Mais pour faire court : des salariés allaient mal, très mal. L'institution n’arrêtait pas d'être en restructuration à marche forcée et nous faisions front face à un employeur et une direction qui voulait faire plier l'instance et nous mettre à genoux. Et j'étais l'interlocutrice « privilégiée ».

Dans le même temps, j'avais commencé mes études en licence de Gnourynquologie. En fait, c'est probablement ce qui m'a évité de devenir dingue.

Quelque chose a commencé à gripper. Vu que je ne suis pas trop du genre à m'écouter (je le devrais pourtant), j'ai forcé un peu et la machine a continué de fonctionner, en surface. Lorsque je me retourne sur ce qui s'est passé, cela a mis deux ans. Deux ans pour que je décide de sauver ma peau et de démissionner. Mais sans jamais me dire que ce que je vivais relevait du burn-out. J'ai juste accepté de dire, à l'époque, que je faisais trop de choses.

Le burn-out qu'est ce que c'est ? Les définitions varient mais il y a des points communs : épuisement général ; fatigue physique, psychique, émotionnelle ; sentiment de vide ; syndrome dépressif... L'OMS en donne une définition très courte «  sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d'incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ».
Quand on a dit ça...Il y a un tableau clinique comme on dit. C'est à dire un certain nombre d'indicateurs, de signes, qui permettent de repérer l'épuisement professionnel.
Cela se manifeste dans le comportement au travail (retards, manque d'intérêt, conduites addictives...), dans des signes physiques/somatiques (troubles du sommeils, fatigue, douleurs diverses, prise ou perte de poids). Cela se manifeste aussi dans la sphère affective et émotionnelle (irritabilité, tristesse, méfiance, cynisme/détachement, isolement/appauvrissement affectif). Enfin, cela touche la tête, le cerveau, la caboche. C'est ce que l'on appelle la sphère cognitive (troubles de la concentration, de la mémoire, du jugement). Il n'y a pas nécessité à TOUT cumuler et heureusement. Cela peut aussi être accompagné d'un versant dépressif.

En ce qui me concerne ? J'étais systématiquement en retard le matin (mais étant libre de mon emploi du temps, c'était peu flagrant). Je pouvais rester des heures à mon bureau à faire semblant de travailler alors que rien ne sortait de bon, je fumais vraiment beaucoup et je finissais toujours ivre aux soirées dans lesquelles j'allais (oui, ça anesthésie!). Je dormais à peine et en fractionné. J'étais tout le temps exténuée. J'ai eu 8,5 de tension pendant des mois, mal au dos et j'ai perdu 9kg. J'étais une pile électrique shootée à l'adrénaline et au café, ce qui me permettait de rester debout. Je démarrais au quart de tour. Je peux avoir la langue acérée et elle fonctionnait à plein. Je n'avais plus gout à rien et me coupais de mon réseau, de ma famille. On trouvait que j'avais petite mine ou une tête de zombie, c'est selon. J'avais un fort sentiment d'impuissance, de ne pas pouvoir exercer mon métier correctement et de ne pas servir à grand chose.
A côté de ça, j'étais globalement efficiente et attentive dans les familles, performante aux réunions inter-partenariales et au tribunal pour enfants. Et j'étais une killeuse en instance CHSCT. J'étais dans une rage froide, contenue, qui me faisait tenir et me donnait une grande lucidité. J'avais focalisé toute ma colère sur le directeur et ce dans quoi il entrainait MonAssoDavant. J'avais rarement un mot plus haut que l'autre mais je trouvais la faille et je lui mettais le nez dedans. Ça faisait de moi une bonne secrétaire d'instance parait-il. La pression était là cependant, constante.

Un jour, alors que j'étais chez ma toubib pour un rhume qui durait un peu trop, je me suis effondrée à sa simple question « alors, comment allez-vous ?». J'avais l'impression d'aller bien pourtant. C'est ce que je lui racontais la figure bouffie de larmes, entre deux hoquets et la morve au nez. J'ai voulu refuser l'arrêt maladie proposé et là, elle s'est fâchée. C'était mon médecin depuis 8 ans, pas le genre à distribuer les arrêts et les medocs facilement. Sa réaction m'a presque choqué.
J'ai commencé à réfléchir, à me regarder fonctionner. J'ai repris le travail après une semaine et je ne suis pas allée la voir pendant un moment mais j'avais pris conscience que j'étais en train de sombrer, de me détruire. Que ma relation à mon travail et à mon lieu de travail était déviante et pervertie.
L'idée a fait son chemin, doucement, jusqu'au jour où j'ai pu la verbaliser : je devais arrêter et aller me mettre au vert. Simplement, je ne pouvais pas partir du jour au lendemain, pour diverses raisons.
J'ai accepté de me faire aider. Pendant 6 mois, j'ai été sous anxiolytique, antidépresseur et somnifère. Mon médecin m'arrêtait une semaine par mois et j'ai soldé tous les congés que je pouvais prendre. Mes collègues savaient. La plupart ont fait bloc autour de moi.
J'ai préparé mon départ tant sur le plan du boulot que de l'instance. Je suis partie en laissant des dossiers propres et clairs, les passages de relais ont été faits. C'était primordial pour moi. J'avais honte de les laisser tomber, de laisser mes collègues dans une galère institutionnelle majeure. J'avais le sentiment d'abandonner le navire et de les laisser derrière moi. Bien des mois plus tard, j'ai commencé à me rendre compte ce dans quoi j'avais été prise et le processus dans lequel j'étais coincée. J'avais l'impression d'avoir failli.
Je suis plus apaisée aujourd'hui. Mon boulot me manque mais pas le contexte institutionnel ni la hiérarchie. Je ne suis pas prête  mais que cela me manque!
Je vous parle de moi mais j'aurais pu vous parler des collègues de « mon » équipe, des autres secteurs et d'autres services.

Peut-être que je vous parle de vous...

14 commentaires:

  1. L'altruisme est extrêmement coûteux, d'autant plus qu'il est la proie de parasites voués à sucer ceux qui en font preuve. Jusqu'à la moelle.
    Se préserver.
    Toujours.
    Amitiés.
    @BicyleRepairMan

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    1. Merci pour ton commentaire :-)
      Je ne sais pas si c'était de l'altruisme...Ce que je peux dire, c'est que tant que j'ai pu exercer mon métier dans des conditions acceptables, ça a roulé. C'est lorsque l'exercice du boulot et que les moyens ont changés, que la notion de conflit éthique a commencé à s'en mêler et que ça a grincé...

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  2. oh.... ta dernière phrase... pas tous les jours, mais certains...

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  3. Ton billet en fera réagir plus d'un je pense. Le burn-out est bien plus fréquent ... qu'on le croit, sauf qu'on a du mal à en parler, qu'on a du mal à dire qu'on peut être concerné ou même de près ou de loin.

    Merci.

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    1. Merci à toi de réagir (bienvenue!). Oui c'est difficile d'en parler car ce qui est valorisé c'est la performance, être fort...Si ce billet aide certain(e)s à réfléchir, à engager une discussion alors tant mieux

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  4. Moi je dis qu'il ne faut pas avoir honte de changer de vie et d'abandonner l'ancienne. Changer de vie c'est courageux, et beaucoup en rêve sans en avoir le courage. On n'a qu'une seule vie, autant en profiter.

    Après c'est sûr que changer de vie dans ces conditions, ce n'est pas l'idéal, et mieux aurait valu que cela se fasse dans des conditions plus sereines. Il est détestable que des gens aux responsabilités ne prennent pas soin des personnes qu'ils encadrent. C'est de l'incompétence et de la méchanceté. Le chef est là pour protéger.

    Allez, bon courage pour la suite.

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    1. Ce qui m'a culpabilisé longtemps est d'avoir eu l'impression de laisser tomber "les autres", d'avoir fuit et de ne pas avoir affronté...Mais pour le reste, ça passe tout seul ou presque! ;-) Ce que tu dis sur l'encadrement est vrai par certains aspects et c'est compliqué aussi (je sais que mon N+1, tout incompétent mais pas méchant qu'il était, se trouvait sous une pression dingue de notre N+2 qui elle même...etc...le premier metteur de pression étant le financeur...)

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  5. Durant deux ans j'ai vécu le harcèlement d'une collègue qui se prenait pour ma supérieure hiérarchique. Par dessus tu rajoutes un patron complètement barge, j'ai fuis en congé parental pour au final développer une haine et un refus total du monde du travail et de l'entreprise. Aujourd'hui, après deux congés parentaux successifs, j'ai quitté cette boîte avec une rupture conventionnelle de contrat.La solution de facilité aurait été d'y rester, prison dorée, prestige, avenir et succès. Très peu pour moi. Psychiquement impossible de retourner dans cet environnement.Y pénétrer ne serait ce que pour un entretien avec la DRH me provoquait de l'urticaire et des bouffées d'angoisse. Aujourd'hui je me construis mon travail. Je ne sais pas ce qui m'attends, mais je sais au moins ce que je ne veux plus ! Ne plus Subir ! Allez courage !

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    1. Oui, ne plus subir et s'inventer son demain :-)
      Merci pour ton commentaire et ce partage!

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  6. Quelque chose m'interpelle dans ce billet très émouvant : Le burn-out est si invisible, inodore pour qu'aucun membre proche de toi ne s'aperçoive pas d'une évolution sensiblement différente ? Évolution est un mot volontairement choisi pour dire que tout changement "brutal" en bien ou mal ne puisse pas interpeller les "autres". Bien entendu, je n'attends pas de réponse précise à cette remarque... mais je me dis que dans ces cas-là, c'est "dur" à la fois de voir que l'on porte ce fardeau tout seul...et "dur" de se sentir totalement démuni pour transformer en acte une volonté d'aider...

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    1. Je ne le percevais pas moi-même...:-) Je pensais surtout ne pas être assez organisée, efficace, performante et j'étais une spécialiste pour "garder bonne figure"...C'est une des caractéristiques du burn-out, il ne te tombe pas dessus mais s'installe peu à peu donc il n'y a rien de forcément flagrant, jusqu'au jour où ça casse

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  7. Bonjour,
    Je suis vraiment heureux que vous vous en soyez sortie. Je viens de découvrir votre blogue et je vais essayer de vous suivre. Je suis aussi malade depuis dix ans. Je n'en sors pas. J'avais ouvert un blogue il y a plusieurs années que je n'ai pas poursuivi. Tout s'est effondré en dix ans. Je vais essayer de tirer profit de votre expérience. Merci pour votre courage.

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    1. Bienvenue ici:-)
      Merci de votre commentaire.La maladie est une chose douloureuse et difficilement compréhensible pour qui n'y est pas confronté. Bon courage à vous et à bientôt sur ces pages peut-être.

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