mardi 6 novembre 2012

Mamans (2/2)

Je la sentais dans une certaine ambivalence avec le dispositif proposé mais cela restait flou. Elle voulait voir sa fille mais ne semblait pas vouloir engager la démarche. Cela trainait et Poussinnette était tellement en demande qu'il a même été décidé d'organiser une rencontre entre elle et sa mère. Elles ne s'étaient pas vues depuis deux ans. Ça a demandé de la préparation, beaucoup. Et de poser certaines conditions : pas de fausses promesses, pas de dénigrement, pas de conte de fée.
Un jour, j'ai donc passé les portes et les sas de sécurité avec quatre pommes cramponnées à ma main. Dans ce centre de détention, au parloir famille, les murs sont colorés, il n'y a pas de barreaux aux fenêtres et le personnel pénitentiaire est souriant. Cela reste une prison avec ses procédures, sa sécurité serrée, ses trousseaux de clés et ses multiples portes. Chaque porte ne s'ouvre que lorsque la précédente a été refermée.

Elle était euphorique en repartant. D'autant que sa mère lui avait fait des cadeaux, avait acheté des bonbons, joué avec elle, pris des photos (oui, les détenues peuvent acheter certaines choses via le service pénitentiaire). Pour Poussinnette, sa « vraie maman » était juste géniale et parfaite. Elle, elle l'aimait, elle lui avait dit.


Je pressentais une redescente en chute libre. Ça lui a pris un peu moins d'une semaine. En fait, cette visite a été un désastre. Oui, un désastre car j'ai appris, entre temps, que lors d'un de mes échanges avec une surveillante, la mère avait chuchoté des choses en aparté à sa fille. Poussinette a réussit à en parler à sa maman de cœur après un cauchemar « maman m'a dit que tu voulais me voler et m'empêcher de l'aimer. Elle m'a dit qu'elle te ferait ce qu'elle a fait à papa » et aussi « elle m'a dit qu'elle allait sortir bientôt et me reprendre avec elle ». Destructeur.
J'ai eu un père furieux au téléphone qui me reprochait de l'avoir forcé à accepter, une belle-mère désemparée et en larmes ne sachant plus comment gérer les choses et une Poussinnette désagrégée.

Par la suite, malgré les propositions et les rendez-vous de PontdeLiens , la mère de sang n'a pas voulu les voir pour des rencontres régulières avec sa fille. Elle voulait que les visites se passent à sa manière, une façon d'avoir un sentiment de maitrise des choses.

Je me suis fortement questionnée sur mon intervention dans cette visite médiatisée. Pas mon rôle, pas ma place. Pas mon métier non plus. Très clairement, pas ma compétence. Poussinnette avait besoin de voir sa mère de sang pourtant...
Nous avons travaillé en étroite collaboration tant avec les services pénitentiaires de réinsertion qu'avec PontdeLiens . Que d'échanges téléphoniques, de réunions et de discussions. Rien n'y a fait. Cette maman de sang n'était pas capable ou ne voulait pas recréer du lien avec sa fille. Pas dans le cadre proposé en tous cas. Pas de manière graduelle et sécurisée, pour Poussinnette. Elle qui me disait la main sur le cœur et les larmes dans les yeux que sa fille était tout pour elle. Elle qui avait juré à sa fille, avant que je puisse l'en empêcher, que ses bêtises c'était fini et que maman serait là maintenant. Elle n'a pas pu ou su tenir cette promesse.
Je ne vais pas pour autant la juger en disant qu'elle est une mauvaise personne. Stérile et non constructif. Mais les faits sont là, implacables et sans fioritures. Il y avait divergence évidente entre les besoins de la mère et ceux de sa fille. Ma place était du côté de l'enfant.

Il faut savoir arrêter. La persévérance peut se transformer en acharnement éducatif et ça n'a rien de bon.
Nous avons écrit au juge en expliquant la situation. Nous ne pouvions ni ne souhaitions poursuivre un travail sur la relation mère-enfant dans ces conditions. Parce que celle qui morflait dans cette histoire, c'était Poussinnette.
Il a fallu que je lui explique à cette petite puce que la prochaine visite n'était pas pour tout de suite. Elle en pleurait « Est-ce que j'ai été méchante ? Maman m'en veut ? ». Comment aider une petite fille de cinq ans à comprendre que ça n'est pas elle qui dérape et qui est en cause ? Comment expliquer sans jugement aucun à une petite fille encore pleine d'espoir d'une maman fantasmée dans sa perfection que cela ne va pas se faire et que cette maman rêvée comme une princesse n'en est pas une ?

Être parent, qu'est-ce que c'est ? Un droit ? Une responsabilité ?

De quoi l'enfant a-t-il besoin ? Toute la question est là n'est-ce pas ?

Le droit français est ainsi fait. En matière de famille, primauté au droit du sang ou plutôt primauté au lien de filiation établit. Je ne suis pas juriste donc mes termes ne sont peut-être pas adéquats. Il n'empêche, un parent « légitime », même défaillant à l’extrême, même toxique pour ses enfants, même absent aura toujours plus de droits qu'une compagnon ou une compagne présent au quotidien pendant des années auprès d'enfants qui les investissent comme autre parent. J'ai longtemps pensé que cette primauté avait du sens. Je le disais aussi « oui mais c'est son père quand même » « oui mais c'est sa mère quand même ».

Aujourd'hui, doucement, par décisions de justice qui font jurisprudence, médiatisées ou non, le droit avance. Certains tribunaux acceptent dans certaines conditions les délégations d'autorité parentale au conjoint non parent biologique.

Je ne pense plus, depuis un bon moment, que les liens du sang/filiation doivent prévaloir. C'est le fruit de beaucoup d'interrogations, de réflexions, de lectures, d'échanges et de travail sur le terrain. Je vous fais tiquer peut-être. Je peux le comprendre.
Je suis intimement persuadée que tout enfant a, avant tout, besoin d'adulte(s) référent(s) qu'il peut investir affectivement et qui lui garantissent une sécurité affective essentielle à son développement. Besoin de cohérence et de constance. Besoin de repères et de confiance. Il a besoin de fiabilité et de crédibilité. Besoin d'un amour inconditionnel. Faut-il être son/ses parent(s) biologique(s) pour cela ?

7 commentaires:

  1. 1* poussinette c'est un surnom que l'on donne à ma fille parfois...
    2* les liens du sang, je n'y crois qu'à moitié, je ne me sens pas liée par eux (en tout cas en tant que fille, en tant que mère c'est très différent )
    j'ai une famille de coeur qui n'a rien a voir avec celle du sang, ma famille c'est ma tribu, nous cinq, les doigts de la main, mon mari , mes trois enfants , nos trois enfants
    mais en tant que fille d'un couple divorcé, n'ayant connu mon père que très tard et très peu, élevée par mes grands parents maternels qui ont remplacé une mère défaillante, j'ai mis du temps à m'absoudre de devoirs envers mes parents, et d'ailleurs y suis je même parvenue ?
    être parent, je pense que c'est bien plus un devoir qu'un droit, le bien de l'enfant prime avant toute autre chose

    RépondreSupprimer
  2. mon précédent comm est une réponse bien incomplète, il y aurait tant à dire, tant à écrire
    chaque histoire est unique, chaque parcours, chaque famille...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ce partage sincère et si intime...Je suis touchée par ce que tu livres ici
      Oui, chaque histoire est unique...

      Supprimer
  3. Je suis entièrement d'accord avec ta conclusion et mon expérience personnelle va encore plus loin... Tu dis qu'elle avait besoin de sa mère de sang pourtant... je ne sais pas. si on est bien entouré le besoin est-il réel ou fantasmé ? ma mère n'a plus fait partie de ma vie, j'avais à peine 5 ans, mon histoire est très compliquée je ne vais pas tout livrer ici mais avec le recul, je ne peux pas dire que j'en avais besoin (ou alors je me voile la face ?)... quelque chose qu'on ne connait pas nous manque t'il vraiment ? je l'ai revue bien des années plus tard, adulte avec ma vie et moi même construite et même si j'ai éprouvé une sorte d'affection, je me suis aperçue qu'elle ne manquait pas à ma vie puisque j'avais vécu sans elle depuis tout ce temps, je ne sais pas ce que c'est d'avoir eu une maman donc ça ne m'a pas manqué (au sens où j'avais quelque chose que je n'avais plu ensuite). Je ne dis pas que ce sujet n'est pas sensible car malgré tout il l'est... C'est en étant maman moi même que je me rends compte à quel point ça peut être génial d'avoir une maman :)
    Alors oui l'enfant a besoin d'amour de ses parents ou d'autres personnes qui ne sont pas les géniteurs biologiques mais si ceux du sang sont défaillants, je pense que d'autres peuvent faire l'affaire. j'espère que cette fille réussira à trouver et garder sa place dans la famille qu'elle se choisit...
    Pas évident ton rôle dans tout ça, forcément j'aurais tendance à être plus radicale envers un parent qui n'assure pas. Comment l'expliquer à un enfant si petit ? c'est dur, je ne sais même pas si on peut l'expliquer, à force d'espérer une visite qui ne vient pas, le temps passe et puis on n'y pense plus du tout, on continue notre vie d'enfant, on joue, on grandit, on apprend et puis un jour on est capable de faire la part des choses tout seul même si la peine est là...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ton commentaire et de partager ton vécu. Je pense qu'à un moment donné, pour avancer, il y a besoin d'expérimenter la déception pour couper au fantasme, hélas...en tous cas, pour Poussinnette, je pense que cette étape était nécessaire. Mais chaque histoire et parcours de vie sont uniques et singuliers...Je crois qu'on peut l'expliquer ms cela impliquer d'accepter d'être honnête (ce qui ne veut pas dire tt déballer non plus) avec l'enfant et de choisir ses mots. Les enfants comprennent bien plus qu'on ne veut leur en faire crédit...ça tu le sais, tu l'as vécu et tu es maman :-)

      Et bienvenue ici :-)

      Supprimer
  4. Depuis 14 ans, je suis une Belle mère, je l'ai d'ailleurs été avant d'être mère. 12 ans à temps partiel ( un week end sur deux et la moitié des vacances ) puis depuis 2 ans, je le suis à temps complet.
    Durant 12 ans, j'ai assisté, impuissante, à la lente dégradation psychique et intellectuelle d'un enfant pour qui, sous prétexte que je n'étais qu'une pièce rapportée, je n'avais aucun droit, aucun avis à émettre, même pas auprès des institutions. La négligence parentale est encore plus perverse quand elle n'est pas visible de l'extérieur : jolie maison, jolie Maman, jolis vêtements, esthéticienne, joli travail et très bon niveau de vie. Mais à l'intérieur : RIEN, le néant, le vide. Le résultat a donné un enfant considéré comme "ascolaire et gravement perturbateur". Alors, au final, parce qu'il m'était impossible de rester plus longtemps dans l'inertie et parce qu'elle devait bien se rendre à l'évidence, elle avait échoué son rôle de mère et cet enfant était en danger, nous avons enfin pu le récupérer. Mais que d'années de gâchis, que de temps perdu. Que de temps impossible à rattraper. Les parents peuvent se révéler de vrais toxiques sur leurs enfants, et cela même avec la plus louable apparence du monde. Les liens du sang sont ceux que l'on tisse avec le coeur et l'esprit, toujours dans le soucis du bien être de l'autre. Aujourd'hui, mais depuis toujours, c'est mon fils, mon quatrième, que je n'ai pas porté mais que j'ai si longtemps attendu.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ce partage Morticia, ce que tu écris est magnifique et poignant. Il vous a et c'est sa plus grande chance...

      Supprimer