Ces
derniers temps, les circonstances font que je vais regarder loin en
moi, là je n'étais pas allée depuis un moment. Parce que je ne le
voulais pas, parce que je ne le pouvais pas, parce que j'avais
oublié.
Vous
savez maintenant que j'étais éducatrice spécialisée et que j'ai
travaillé de nombreuses années dans ce qu'on appelle le milieu
ouvert. Cela veut dire que j'allais à domicile, chez les familles
concernées par les mesures éducatives.
Je
suis celle qui est partie, qui a décidé de mettre un terme à cet
exercice et de tourner le dos au métier. Je ne supportais plus les
contraintes institutionnelles, le peu de considération politique
portée au travail social et la pression constante de devoir faire
plus avec de moins en moins de moyens. Comme avait dit un jour un
ancien collègue « on nous demande de faire entrer un litre
d'eau dans une bouteille de 50cl ». Moi je disais « écoper
le Titanic à la petite cuillère ».
Il
y avait aussi une autre raison : ce sentiment d'impuissance
absolue de ne pas pouvoir aider les personnes que nous étions sensé
accompagner. Les réformes successives avaient déjà bien entamé la
capacité à agir que nous avions et les ressources financières, de
temps et de personnes que nous pouvions mobiliser pour cela (envoyer
un enfant en colo afin qu'il quitte son environnement et que ses
parents qui travaillent puissent souffler un peu, ça nécessite de
l'argent, d'instruire des dossiers, de gérer les conduites.
Pourtant, les bénéfices s'en faisaient ressentir tout au long de
l'année ensuite mais bon...).
Travailler
auprès d'un public en difficultés est une chose. Assister
impuissante à des naufrages personnels, familiaux et éducatifs sans
fin parce que des politiques diverses ont décidé que « l'assistanat
ça suffit » (sans même percevoir les tenants et les
aboutissants de ce qu'est une politique sociale), s'en est une autre.
Les
effets de la crise en 2008 et la mise en place du RSA ont été le
coup de grâce. Je ne me sentais plus capable. J'étais confrontée à
un conflit éthique profond et douloureux. Ce burn-out, j'en ai
parlé. Je ne vais pas y revenir une fois de plus.