C'est
la lecture du billet d’Émilie , merci à elle, qui a fait remonter un certain
nombre de choses à la surface et qui m'a fait repenser d'un seul coup à une famille. Cela fait longtemps que je suis
partie de MonAssoDavant alors les ressentis s'estompent, remplacés
par d'autres et puis d'autres.
Je
me souviens d'un échange lors d'une réunion de travail sur la
situation de cette famille que j'accompagnais depuis plusieurs années
déjà : les Tuyodpouale. Certains suivis courent sur du long terme, très long
terme parce qu'ils sont un étayage. Et que cet étayage durera
jusqu'à la majorité des enfants. C'est parfois nécessaire et c'est
comme ça.
J'exerçais ce que l'on appelait alors une TPSE : Tutelle
aux Prestations Sociales Enfant, au titre de l'article 375-9-1 du
Code Civil pour info.
En
simple : les parents perçoivent des prestations familiales (PF)
pour leurs enfants. Ces dites PF sont attribuées par la CAF pour
aider à ce que les besoins premiers des enfants soient assurés. Par
besoins premiers on veut dire avoir un toit sur sa tête, être
nourri, soigné, habillé, chauffé, éclairé et d'aller à l'école.
Quand les PF ne sont pas utilisées par les parents pour cela, le
juge des enfants intervient (suite à un signalement des services
sociaux) et ordonne que les PF soient mises « sous tutelle ».
Elles sont alors versées à un service éducatif qui ensuite gère
cela avec la famille. Ça n'est toutefois pas une mesure d'incapacité
comme une tutelle ou une curatelle pour les adultes.
Bref,
j'intervenais auprès des Tuyodpouale depuis déjà plusieurs
années. Je prenais la suite d'autres collègues. Car il y avait des
accompagnements depuis des années. Et parfois accompagner revient à
juste... limiter les dégâts. Je n'ai rien fait de mieux ou de pire
que les collègues intervenus avant moi. J'ai juste pris le relai
avec ma manière et mon style.
Il
y avait des hauts, des bas. Parfois les parents travaillaient au quel
cas la situation s'améliorait et on arrivait à mettre des choses en
place pour assainir la situation. Parfois les parents ne
travaillaient pas et ça devenait compliqué. Il y a eu des prises de
becs homériques avec Madame. Elle me trouvait sévère parce que je
ne voulais pas répondre toujours à ses demandes voire ses
commandes. Mais je l’aimais bien cette maman. Une femme courageuse,
bidouilleuse, chiante, obstinée, fuyante, parfois même fraudeuse,
attachante aussi. On avait de sacrées discussions toutes les deux.
Leur
situation financière était... un désastre abyssal sans nom. Quatre
enfants. Des parcours de vies pires que chaotiques. Le père était
analphabète ce qui limitait les possibilités d'accès à l'emploi.
La mère travaillait comme « dame de service » dans
diverses structures, en contrats aidés. Puis la situation a
commencé a sérieusement déraper. La conjonction de plusieurs
facteurs : changement des politiques sociales, mise en place du
RSA, la crise et la découverte d'une maladie chronique chez Madame
qui ne parvenait pas à être stabilisée.
Plus
de travail. Le marché de l'emploi c'est effondré et comme souvent
dans ces moments là, ce sont les personnes les moins instruites, les
moins formées et les plus vulnérables qui trinquent en premier. Qui
dit plus de travail dit plus de salaire donc baisse des ressources.
On a beau dire, même si notre protection sociale est importante en
France, rien absolument rien ne pallie réellement à la perte d'un
emploi et d'un salaire quoi qu'on puisse entendre ici ou là. Pour
faire court, après une année, le RSA est venu se substituer à
l'ARS de Pôle Emploi (anciennement Assedics).
Les
parents ont un peu filouté. Monsieur a trouvé parfois des boulots
pendant quelques semaines et a « oublié » de le signaler
à Pôle Emploi qui finit toujours par savoir donc indus donc
diminution voire suppression des allocations chômage (cela dit,
c'était normal. La fraude aux prestations sociales quelles qu'elles
soient, c'est pas à faire).
Les
factures courantes ne pouvaient plus être assurées. Je faisais des
demandes d'aides pour l'eau, l'électricité pour éviter les
coupures. Puis les demandes d'aides ont fini par être rejetées ou
les sommes allouées ont drastiquement diminué. Bref, je ne pouvais
plus rien FAIRE.
Mais
parce que c'est le boulot, j'allais en rendez-vous au domicile de la
famille tous les mois pour faire le point, voir où ils en étaient.
Et je repartais chargée d'une impuissance encore plus lourde que mon
cartable rouge.
C'est
tout cela que j'exprimais ce jour là à cette réunion de travail :
je ne peux rien FAIRE. Et là, un de mes collègues (je l’aimais
d'amour lui. Je l'ai déjà évoqué plusieurs fois ici. Un homme
rare et précieux) me regarde et « tu fais. Tu fais ce qui est
essentiel tu ES. Tu crois quoi? Que tu es Zorro? ». Je l'ai regardé avec des yeux ronds pour
tout vous dire et j'ai objecté que ça me faisait une belle jambe et
que ça en faisait une encore plus belle à la famille.
Oui
mais il avait raison. J'étais la seule à aller chez eux
régulièrement. A m'asseoir à leur table, à parler avec eux,
écouter, dialoguer.
D'une
part, il était bien présomptueux de ma part de me dire que j'allais
forcément pouvoir les sortir de la mouise. Pour qui je me prenais?! Je n'étais pas une
meilleure professionnelle que les collègues qui étaient passés
avant moi et ils étaient déjà intervenus de longues années.
D'autre part, un certain nombre de choses relevaient bien de la
responsabilité de ces parents là, pas de moi. Je ne pouvais pas me
substituer à eux pour faire certains choix. Non, je ne le
pouvais ni ne le devais.
En
revanche, je pouvais continuer à les regarder, à les avoir comme
interlocuteurs. Mon collègue a résumé les choses ainsi « pour
les administrations, ils sont des objets/dossiers ; pour
certains, ils sont un problème ; pour d'autres ils sont des
parasites ; pour beaucoup ils ne sont rien ou juste une
statistique. Pour toi, ils sont des parents, des sujets, ils sont ».
Oui, ils étaient.
Et
avec eux, j'ai arrêté de vouloir FAIRE absolument pour simplement ÊTRE. Cela voulait dire composer avec l'impuissance, la colère, le
découragement. Ne jamais perdre de vue que quoi que je ressentais,
c'était eux qui étaient dans une situation inextricable et qui la
vivaient au quotidien. Le moins que je pouvais faire était de
prendre ce temps, chaque mois, pour écouter et devenir un peu
dépositaire d'une partie de leur histoire.
Un
jour, alors que j'étais sur la pas de la porte prête à repartir,
la mère au moment de me serrer la main m'a dit quelque chose comme
« j'peux pas dire que vous serviez à grand chose mais ça me
fait du bien de parler avec vous. J'peux vous dire des choses à
vous ». Croyez-le ou non, j'ai trouvé que c'était un bien
beau compliment et je l'ai remerciée avec un grand sourire. Elle a eu l'air étonné...
Merci pour ce superbe billet, qui prouve que l'action, quelle que soit son ampleur, a toujours un impact qui va au-delà des points de vues éloignés et théorisants de ceux qui ne font qu'intellectualiser les problèmes.
RépondreSupprimerMerci pour nous tous et pour le message si positif que tu transmets.
Merci pour ton commentaire (et bienvenue ici). Positif, je ne sais pas... car malgré tout, cela n'empêche pas l'impuissance et ses corolaires. Mais merci à toi pour tes mots :-)
Supprimer