Ça commence comme un friseli à la surface de l'eau, le bruissement
d'une aile, un souffle dans le cou. C'est comme un frisson
imperceptible qui en annonce les prémices.
Je
peux le percevoir si je suis disponible à ça ou ne rien
capter ou alors même l'ignorer. Cela peut arriver n'importe où et
n'importe quand. En voiture, seule, accompagnée, sur la Ligne, dans
les vestiaires, en soirée...
Mais
cet appel ne se laisse pas écarter sans y revenir. L'imperceptible
s'affirme et gagne en force. Il envahit tout le corps, démange les
mains, crée l'impatience. L'indifférence n'y fait rien. Il finit
par m'attraper toute entière et m'oblige à le reconnaître.
Alors,
je n'ai plus de cesse que d'y répondre, le plus vite possible. Si je
suis en plein travail, je compte le temps qui recule. Si je vaque à
mes occupations, je cède sans attendre. Si je suis ailleurs alors
vite il me faut rentrer, à moins que ce jour-là, il ne soit déjà
avec moi.
Y
aller, vite. Il m'attend déjà, prêt à me satisfaire. Le saisir
enfin, refaire connaissance à chaque fois. Le cajoler avec tendresse
et avec passion. Sentir sa pression sur ma nuque et son poids dans
mes mains. Épouser ses formes, sentir sa texture. Enserrer d'une
main et à peine effleurer de l'autre. Trouver les points que je sais
importants et sensibles.
Me
laisser aller enfin au besoin impérieux et à l'envie qui me somme.
Lâcher prise et n'être plus que sensations. Trouver le bon angle,
tâtonner quelque peu puis comme une délivrance, déclencher
l'instant. Entendre son murmure et exulter. Et recommencer encore et
encore, jusqu'à me sentir soulagée, apaisée, paisible.
Une
fois que je me livre toute entière, il n'y a plus de temps, il n'y a
plus de monde, il n'y a que moi et ce boîtier qui me permet de
tisser mes émotions dans les millions de pixels qui sont les siens.
Je
suis la seule à savoir que dans l'odeur de pluie de cet après-midi
là se niche mon rire, que dans cette lumière du matin repose ma
tristesse, que dans ce vent chargé d'embruns hurle ma colère, que
dans le granulé de la terre s'enfonce ma dépression et que dans la
douceur d'une feuille se love mon désir.
La
technique est imparfaite, le cadrage parfois approximatif, la lumière
trop ceci ou pas assez cela mais ce qui s'y trouve, c'est moi.
Toutes
mes photos ne sont pas des bulles à émotions. En revanche, le
processus est une source de plaisir jamais démentie et rarement
décevante.
Si
mes photos peuvent éventuellement susciter une réaction, personne
ne peut savoir ce qui s'y cache. Croire que ces émotions s'y voient
est une illusion. Capter l'instant propice pour les recevoir est une
inspiration. En provoquer une autre chez qui regarde est une
aspiration.
J'ai
cette relation charnelle à mon appareil photo depuis longtemps.
Photographier est pour moi une expérience sensorielle et
émotionnelle. C'est mon ancrage, ce qui rend supportable ce qui ne
l'est pas, ce qui me canalise et me libère, qui me fait rire et
danser.
C'est
ce qui me fait aller recentrée au travail et traverser ma journée
sur la Ligne sachant que lorsque je rentre, je peux recréer à
nouveau. Ou que regarder ces photos me replonge dans un moment,
saisit, et qui contient tout ce que je ne dis pas.
Je serais curieuse de savoir la proportion de photographes parmi les bloggers. Ils sont nombreux. Je dois dire que je redécouvre ce plaisir avec l'appareil que j'ai depuis 6 mois, mais qu'auparavant, à cause d'un cambrioleur qui m'avait volé les deux appareils argentiques qui se trouvaient chez moi, dépitée, j'avais utilisé de l'appareil jetable. Mais il faut dire que j'ai le dessin comme exutoire et comme passion. Tu nous en montreras un jour, ou elles sont trop identifiées ?
RépondreSupprimerAh, le dessin...d'ailleurs (mais je te l'ai déjà dit) j'aime beaucoup ce que tu fais :-)
SupprimerPeut-être, je ne sais pas...ça dépendra des photos ;-)
c'est drôle, mon appareil à moi se nomme argile, grès, porcelaine...mais l'appel est le même :)
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ta façon d'écrire, tes mots sont beaux, en mille feuille d'émotion et de sens.
Oh j'aime bien ce que tu dis sur ton "appareil" à toi...en fait j'aime cette idée que d'autres ressentent ce frisson et tout...;-)
SupprimerMerci, cela me touche ce que tu dis :-)
un dernier message, parce qu'après avoir tout lu et terminé par le post d'aujourd'hui, le courlis n'a plus l'ombre d'un doute sur le poisson Frayer ... Et sinon, le processus créatif est un instinct extrêmement fort qui balaie tout sur son passage et auquel il est difficile de résister. Le plaisir et la délivrance qu'il apporte sont à la mesure de son impétuosité.
RépondreSupprimerOui, c'est exactement ça! Tu résumes si bien les choses "Le plaisir et la délivrance qu'il apporte sont à la mesure de son impétuosité." :-)
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