Cela
m'a pris presque un an pour accepter de pouvoir le dire à voix haute
sans en avoir honte : Burn Out (burn-out, en fait).
Lorsque
j'ai démissionné de mon poste d'éducatrice spécialisée, de mon
« boulot d'avant » c'est parce que j'en étais arrivée à
un stade avancé d'épuisement professionnel. Voilà, j'arrive à le
dire, à l'écrire même et à le relire sans avoir ce sentiment de
culpabilité qui m'a rongé pendant longtemps.
Épuisement
professionnel, burn-out...c'est la même chose sauf qu'en anglais ça
claque, c'est percutant.
Ça
n'est pas arrivé du jour au lendemain. Ça ne vient pas toquer à
votre vitre un jour au feu rouge ou alors que vous marchez dans la
rue genre « Chat ! C'est toi ! ». C'est un
processus long, insidieux et qui prend son temps. Je serais incapable
de dater précisément quand cela a commencé. En revanche, je me
souviens quand j'ai pris conscience que quelque chose n'allait pas
mais alors pas, plus, du tout.
J'ai
toujours été une personne entière et engagée dans mon travail.
Quand quelque chose m'intéresse, je n'y vais pas du bout de
l'orteil. C'est ce qui fait ma force et ma fragilité. Éducatrice
spécialisée en milieu ouvert, c'était mon kif. J'ai découvert
« mon » métier à ce moment là, lorsque j'ai été
embauchée dans l'association. J'avais bien travaillé dans le milieu
du handicap auparavant mais lorsque je suis entrée à MonAssoDavant,
ma vie a changé et même si cela a été parfois difficile, je n'en
regrette pas une seule minute. Je crois que, grâce à ces années,
je suis devenue une meilleure personne et une bonne professionnelle.
Ne
venez pas me parler de la nécessaire distance et de la distance
nécessaire dans ce boulot dont on nous rebat les oreilles et que
l'on m'avait consciencieusement entré dans le crâne en formation.
Je sais. J'ai juste appris à faire autrement, en conscience, avec
lucidité et professionnalisme. Car oui, on peut être engagé dans
son boulot en étant très pro. Je ne suis pas entrée dans ce métier
comme on entre dans les ordres ou par je ne sais quelle vocation.
J'étais bien éducatrice spécialisée et pas dame patronnesse.
Seulement,
au fil des années, des réformes fondamentales de la protection de
l'enfance sont survenues, les moyens mis à disposition ont
drastiquement chuté et le milieu du travail social a commencé à
être managé différemment. Bref, il y a eu des bouleversements qui
ont sacrément modifié notre manière d'accompagner les familles et,
malheureusement, pas en mieux.
A
un moment donné, j'ai choisi de me présenter à des élections et
je suis devenue membre du CHSCT de la structure qui m'employait.
CHSCT : Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de
Travail. Après un premier mandat, j'en ai fait un second. Et j'ai
été désignée Secrétaire de l'instance. Grosse responsabilité.
Le contexte était moisi et le CHSCT faisait rempart. Je vous en
parlerais, un autre jour. Mais pour faire court : des salariés
allaient mal, très mal. L'institution n’arrêtait pas d'être en
restructuration à marche forcée et nous faisions front face à un
employeur et une direction qui voulait faire plier l'instance et nous
mettre à genoux. Et j'étais l'interlocutrice « privilégiée ».
Dans
le même temps, j'avais commencé mes études en licence de
Gnourynquologie. En fait, c'est probablement ce qui m'a évité de
devenir dingue.
Quelque
chose a commencé à gripper. Vu que je ne suis pas trop du genre à
m'écouter (je le devrais pourtant), j'ai forcé un peu et la machine
a continué de fonctionner, en surface. Lorsque je me retourne sur ce
qui s'est passé, cela a mis deux ans. Deux ans pour que je décide
de sauver ma peau et de démissionner. Mais sans jamais me dire que
ce que je vivais relevait du burn-out. J'ai juste accepté de dire, à
l'époque, que je faisais trop de choses.
Le burn-out qu'est ce que c'est ? Les définitions varient mais il
y a des points communs : épuisement général ; fatigue
physique, psychique, émotionnelle ; sentiment de vide ;
syndrome dépressif... L'OMS en donne une définition très courte «
sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d'incapacité
à aboutir à des résultats concrets au travail ».
Quand
on a dit ça...Il y a un tableau clinique comme on dit. C'est à dire
un certain nombre d'indicateurs, de signes, qui permettent de repérer
l'épuisement professionnel.
Cela
se manifeste dans le comportement au travail (retards, manque
d'intérêt, conduites addictives...), dans des signes
physiques/somatiques (troubles du sommeils, fatigue, douleurs
diverses, prise ou perte de poids). Cela se manifeste aussi dans la
sphère affective et émotionnelle (irritabilité, tristesse,
méfiance, cynisme/détachement, isolement/appauvrissement affectif).
Enfin, cela touche la tête, le cerveau, la caboche. C'est ce que
l'on appelle la sphère cognitive (troubles de la concentration, de
la mémoire, du jugement). Il n'y a pas nécessité à TOUT cumuler
et heureusement. Cela peut aussi être accompagné d'un versant
dépressif.
En
ce qui me concerne ? J'étais systématiquement en retard le
matin (mais étant libre de mon emploi du temps, c'était peu
flagrant). Je pouvais rester des heures à mon bureau à faire
semblant de travailler alors que rien ne sortait de bon, je fumais
vraiment beaucoup et je finissais toujours ivre aux soirées
dans lesquelles j'allais (oui, ça anesthésie!). Je dormais à peine
et en fractionné. J'étais tout le temps exténuée. J'ai eu 8,5 de
tension pendant des mois, mal au dos et j'ai perdu 9kg. J'étais une
pile électrique shootée à l'adrénaline et au café, ce qui me
permettait de rester debout. Je démarrais au quart de tour. Je peux
avoir la langue acérée et elle fonctionnait à plein. Je n'avais
plus gout à rien et me coupais de mon réseau, de ma famille. On
trouvait que j'avais petite mine ou une tête de zombie, c'est selon.
J'avais un fort sentiment d'impuissance, de ne pas pouvoir exercer
mon métier correctement et de ne pas servir à grand chose.
A
côté de ça, j'étais globalement efficiente et attentive dans les
familles, performante aux réunions inter-partenariales et au
tribunal pour enfants. Et j'étais une killeuse en instance CHSCT.
J'étais dans une rage froide, contenue, qui me faisait tenir et me
donnait une grande lucidité. J'avais focalisé toute ma colère sur
le directeur et ce dans quoi il entrainait MonAssoDavant. J'avais
rarement un mot plus haut que l'autre mais je trouvais la faille et
je lui mettais le nez dedans. Ça faisait de moi une bonne secrétaire
d'instance parait-il. La pression était là cependant, constante.
Un
jour, alors que j'étais chez ma toubib pour un rhume qui durait un
peu trop, je me suis effondrée à sa simple question « alors,
comment allez-vous ?». J'avais l'impression d'aller bien
pourtant. C'est ce que je lui racontais la figure bouffie de larmes,
entre deux hoquets et la morve au nez. J'ai voulu refuser l'arrêt
maladie proposé et là, elle s'est fâchée. C'était mon médecin
depuis 8 ans, pas le genre à distribuer les arrêts et les medocs
facilement. Sa réaction m'a presque choqué.
J'ai
commencé à réfléchir, à me regarder fonctionner. J'ai repris le
travail après une semaine et je ne suis pas allée la voir pendant
un moment mais j'avais pris conscience que j'étais en train de
sombrer, de me détruire. Que ma relation à mon travail et à mon
lieu de travail était déviante et pervertie.
L'idée
a fait son chemin, doucement, jusqu'au jour où j'ai pu la
verbaliser : je devais arrêter et aller me mettre au vert.
Simplement, je ne pouvais pas partir du jour au lendemain, pour
diverses raisons.
J'ai
accepté de me faire aider. Pendant 6 mois, j'ai été sous
anxiolytique, antidépresseur et somnifère. Mon médecin m'arrêtait
une semaine par mois et j'ai soldé tous les congés que je pouvais
prendre. Mes collègues savaient. La plupart ont fait bloc autour de
moi.
J'ai
préparé mon départ tant sur le plan du boulot que de l'instance.
Je suis partie en laissant des dossiers propres et clairs, les
passages de relais ont été faits. C'était primordial pour moi.
J'avais honte de les laisser tomber, de laisser mes collègues dans
une galère institutionnelle majeure. J'avais le sentiment
d'abandonner le navire et de les laisser derrière moi. Bien des mois
plus tard, j'ai commencé à me rendre compte ce dans quoi j'avais
été prise et le processus dans lequel j'étais coincée. J'avais
l'impression d'avoir failli.
Je
suis plus apaisée aujourd'hui. Mon boulot me manque mais pas le
contexte institutionnel ni la hiérarchie. Je ne suis pas prête mais que cela me manque!
Je
vous parle de moi mais j'aurais pu vous parler des collègues de
« mon » équipe, des autres secteurs et d'autres
services.
Peut-être
que je vous parle de vous...
L'altruisme est extrêmement coûteux, d'autant plus qu'il est la proie de parasites voués à sucer ceux qui en font preuve. Jusqu'à la moelle.
RépondreSupprimerSe préserver.
Toujours.
Amitiés.
@BicyleRepairMan
Merci pour ton commentaire :-)
SupprimerJe ne sais pas si c'était de l'altruisme...Ce que je peux dire, c'est que tant que j'ai pu exercer mon métier dans des conditions acceptables, ça a roulé. C'est lorsque l'exercice du boulot et que les moyens ont changés, que la notion de conflit éthique a commencé à s'en mêler et que ça a grincé...
oh.... ta dernière phrase... pas tous les jours, mais certains...
RépondreSupprimerOui, certains...bon courage ;-)
SupprimerTon billet en fera réagir plus d'un je pense. Le burn-out est bien plus fréquent ... qu'on le croit, sauf qu'on a du mal à en parler, qu'on a du mal à dire qu'on peut être concerné ou même de près ou de loin.
RépondreSupprimerMerci.
Merci à toi de réagir (bienvenue!). Oui c'est difficile d'en parler car ce qui est valorisé c'est la performance, être fort...Si ce billet aide certain(e)s à réfléchir, à engager une discussion alors tant mieux
SupprimerMoi je dis qu'il ne faut pas avoir honte de changer de vie et d'abandonner l'ancienne. Changer de vie c'est courageux, et beaucoup en rêve sans en avoir le courage. On n'a qu'une seule vie, autant en profiter.
RépondreSupprimerAprès c'est sûr que changer de vie dans ces conditions, ce n'est pas l'idéal, et mieux aurait valu que cela se fasse dans des conditions plus sereines. Il est détestable que des gens aux responsabilités ne prennent pas soin des personnes qu'ils encadrent. C'est de l'incompétence et de la méchanceté. Le chef est là pour protéger.
Allez, bon courage pour la suite.
Ce qui m'a culpabilisé longtemps est d'avoir eu l'impression de laisser tomber "les autres", d'avoir fuit et de ne pas avoir affronté...Mais pour le reste, ça passe tout seul ou presque! ;-) Ce que tu dis sur l'encadrement est vrai par certains aspects et c'est compliqué aussi (je sais que mon N+1, tout incompétent mais pas méchant qu'il était, se trouvait sous une pression dingue de notre N+2 qui elle même...etc...le premier metteur de pression étant le financeur...)
SupprimerDurant deux ans j'ai vécu le harcèlement d'une collègue qui se prenait pour ma supérieure hiérarchique. Par dessus tu rajoutes un patron complètement barge, j'ai fuis en congé parental pour au final développer une haine et un refus total du monde du travail et de l'entreprise. Aujourd'hui, après deux congés parentaux successifs, j'ai quitté cette boîte avec une rupture conventionnelle de contrat.La solution de facilité aurait été d'y rester, prison dorée, prestige, avenir et succès. Très peu pour moi. Psychiquement impossible de retourner dans cet environnement.Y pénétrer ne serait ce que pour un entretien avec la DRH me provoquait de l'urticaire et des bouffées d'angoisse. Aujourd'hui je me construis mon travail. Je ne sais pas ce qui m'attends, mais je sais au moins ce que je ne veux plus ! Ne plus Subir ! Allez courage !
RépondreSupprimerOui, ne plus subir et s'inventer son demain :-)
SupprimerMerci pour ton commentaire et ce partage!
Quelque chose m'interpelle dans ce billet très émouvant : Le burn-out est si invisible, inodore pour qu'aucun membre proche de toi ne s'aperçoive pas d'une évolution sensiblement différente ? Évolution est un mot volontairement choisi pour dire que tout changement "brutal" en bien ou mal ne puisse pas interpeller les "autres". Bien entendu, je n'attends pas de réponse précise à cette remarque... mais je me dis que dans ces cas-là, c'est "dur" à la fois de voir que l'on porte ce fardeau tout seul...et "dur" de se sentir totalement démuni pour transformer en acte une volonté d'aider...
RépondreSupprimerJe ne le percevais pas moi-même...:-) Je pensais surtout ne pas être assez organisée, efficace, performante et j'étais une spécialiste pour "garder bonne figure"...C'est une des caractéristiques du burn-out, il ne te tombe pas dessus mais s'installe peu à peu donc il n'y a rien de forcément flagrant, jusqu'au jour où ça casse
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe suis vraiment heureux que vous vous en soyez sortie. Je viens de découvrir votre blogue et je vais essayer de vous suivre. Je suis aussi malade depuis dix ans. Je n'en sors pas. J'avais ouvert un blogue il y a plusieurs années que je n'ai pas poursuivi. Tout s'est effondré en dix ans. Je vais essayer de tirer profit de votre expérience. Merci pour votre courage.
Bienvenue ici:-)
SupprimerMerci de votre commentaire.La maladie est une chose douloureuse et difficilement compréhensible pour qui n'y est pas confronté. Bon courage à vous et à bientôt sur ces pages peut-être.