Elle
a entre 45 et 60 ans je dirais. Le visage rond, les yeux en amandes,
les pommettes hautes, la peau ridée. Burinée par le grand air, les
soucis et la misère. Elle n'est pas bien grande et assise sur cette
caisse en plastique elle parait même ratatinée. La tête recouverte
d'un fichu marine avec des fleurs. Elle doit venir de quelque part du
centre de l'Europe ou des Balkans. Elle est toujours au même endroit
à chaque fois que je viens faire mes courses, quelque soit l'heure.
Le même endroit, le même carton avec quelques mots écrits au
marqueur noir et qui s'abîme avec le temps qui passe. Elle
interpelle parfois dans un français sommaire et teinté d'un accent
que je ne reconnais pas. Elle tend la main, parfois. Une main usée,
râpée, enserrée dans une mitaine en laine, ravaudée et de couleur
indéfinissable. Elle se tait, souvent. On se croirait presque dans
Germinal.
Et
nous, on passe à côté en détournant le regard souvent. Une de
plus. Il y en a tellement. Parfois l'un ou l'autre d'entre nous en
sortant lui dépose subrepticement quelques provisions. Qui du lait,
qui un sandwich, qui du pain ou quelque chose à boire. Ou quelques
pièces, rarement autre chose que des centimes à en juger par le
contenu de sa coupelle. Personne ne la regarde vraiment en face ni
dans les yeux. Moi la première. Aujourd'hui, j'ai découverts
qu'Elle a des yeux bruns clairs et un sourire édenté. Elle exprime
sa reconnaissance de ce qui lui est donné. Mais reconnaissance de
quoi ?!! Elle devrait être en colère, nous alpaguer et nous
mettre face à sa réalité. Au lieu de ça elle remercie avec le
sourire. AVEC LE SOURIRE !
Mais
qu'est-ce qui ne tourne pas rond putain ?! Comment en sommes
nous arrivés à passer à côtés de ces personnes, jeunes,
vieilles, hommes, femmes, d'ici et d'ailleurs, sans plus les voir,
sans vouloir ne serait-ce que les regarder ?!
Je
ne vais pas faire d'angélisme en disant qu'il faut accueillir tout
le monde, que le capitalisme c'est mal, que c'est la crise ma pov'
Lucette ou que l'on vit dans le pays des Droits de l'Homme ou dans un
pays de merde, au choix. Je sais bien que c'est plus compliqué que
ça. Je sais que beaucoup rament pour joindre les deux bouts et se
débattent pour garder la tête hors de l'eau.
Mais
bordel ! Comment en sommes nous arrivés là ? Comment en
2013 peut-il y avoir des personnes qui peinent à manger à leur faim
tous les jours ? Comment est-ce possible au milieu de cette
gabegie colossale alors que des stocks de nourriture sont détruits
chaque jour, que des producteurs d’œufs, de viande, de légumes,
de fruits détruisent des stocks et ne parviennent même plus à
vivre de leur production ?! Oui, je sais : on produit trop,
les lois du marché, tout ça... Merde, y'a pas moyen que ça change
un peu ? Que nous redevenions humains ?
Cette
femme n'est que la partie émergée de l'iceberg de la misère. Il y
a quantité de personnes qui se posent la question de leur
subsistance bien avant la fin du mois mais elles sont invisibles car
ont un « toit » sur leur tête ou se cachent pour
échapper aux regards, à l'administration.
J'en
entends me dire : oui mais il y a des aides, elles en profitent
bien, elles utilisent le système. Ah oui ? Allez leur demander
ce que cela fait de dépendre du bon vouloir d'autres personnes pour
juste survivre. De dépendre de la charité alors que tout ce
qu'elles veulent c'est vivre du fruit de leur travail. Question
dignité, je vous jure, ça se pose là et c'est dur à supporter. Ça
n'est pas moi qui le dit, c'est ce que j'entendais lorsque j'allais
sur le terrain. Cela remonte à deux ans mais j'ai plus l'impression
que ça a empiré qu'autre chose. D'autant que je ne voudrais pas
dire mais question gestion cohérente des aides publiques ça se pose
là (mais bon, c'est un autre sujet). Et ne me parlez surtout pas
d'assistanat car je risque de perdre mon sang-froid...
Remarquez,
je fais partie de nous qui détournons le regard et contribuons à
faire de toutes ces personnes des fantômes, des silhouettes
monotones et monochromes que l'on ne voit plus. Qui ne sont plus que
des ombres furtives dans notre champ de vision périphérique.
L'argent,
je n'ai rien contre. Les personnes qui en gagnent non plus. Là où
je suis perdue c'est lorsque cela devient un but en soi. Plus,
toujours plus et encore plus. Mais pour quoi faire ? Il y a bien
un moment ou, selon ses besoins et ses envies, on en a assez pour
vivre vraiment bien, non ?
Je
suis née du bon côté de la barrière. J'ai juste tendance à
l'oublier ou à le perdre de vue, me perdre de vue.
Manque
de courage. Ne serait-ce que de m'arrêter, la regarder et parler
avec elle pour connaitre son histoire.
Petite
chronique de ma lâcheté ordinaire...
Oui, nous sommes des lâches ordinaires, les pauvres sont nombreux et pas seulement en France, je rentre du Canada, où ça m'a semblé pire ou plus visible ? Pour répondre à ceux qui pensent que ces gens profitent du système, écoutez Clarika:
RépondreSupprimerhttp://youtu.be/0SF9pMjfrpI