Moche,
ça l'a été d'une certaine manière. Nous étions préparés pour
un cent mètres et ça a été un triathlon, genre l'IronMan.
On
nous a soufflé le nom d'avocats spécialisés et on a commencé à
passer des coups de fils. Durant cette période là, c'est LePilier
qui gérait la plupart des choses à faire.
Non,
il n'y avait pas d'expression de souffrance au travail et de
problèmes d'encadrement ? Non, l'institution n'éludait pas la
question et travaillait dessus en bonne intelligence depuis des
années ? Qu'à cela ne tienne ! Des pages et des pages de
documents ont été trouvées, ressorties d'archives. Des faits on
été exhumés de certaines mémoires et ont permis de retrouver
trace d'écrits et de comptes-rendus. Le dossier grossissait.
L'employeur
et la direction distillaient des informations qui portaient à faire
croire que le CHSCT était à l'initiative de la procédure
judiciaire. Lorsque ce qui était dit devenait trop gros, LePilier
envoyait un courrier à la direction et l'affichait ensuite. Et
surtout, nous n'arrêtions pas d'aller sur le terrain pour rencontrer
les collègues et expliquer. Mais avec 5h de délégation par mois,
nos moyens étaient contraints. Alors on y allait sur le temps de
midi, déjeuner avec les équipes ou sur nos temps de RTT.
Et
toujours, remontait du terrain l'expression du mal-être et des
difficultés. Toujours, nous étions interpellés par les médecins
du travail. Toujours, la souffrance dans l'exercice du métier
persistait voire grandissait.
Les
semaines ont passé et le temps des élections pour le renouvellement
de l'instance est venu. Nous étions en
train de déjeuner, les élus. LePilier nous annonce qu'il arrête
là. Épuisé et usé par son rôle de Secrétaire. De plus, lui
aussi est confronté à de sacrées difficultés avec son supérieur
hiérarchique. Et il paye son engament d'élu. Rien de flagrant car
ça serait contraire au droit mais la pression et les dénigrements
sont là.
Le
CHSCT sans lui et c'est tout un pan de l'histoire de cette instance
qui s'en va. Il y est depuis sa création dans l'institution. Nous
avons besoin de lui et le disons avec force, avec fièvre, avec
désespoir. Il finit par accepter de se représenter mais qu'on ne
compte pas sur lui pour reprendre la responsabilité de Secrétaire.
Le
silence me fait lever la tête du morceau de pain que je suis en
train de beurrer. J'ai trois paires d'yeux fixées sur moi. « Quoi ?
Je mange trop de beurre ? » - « ... il nous faut un,
UNE, Secrétaire... Serval » - Et là, c'est la descente du
grand huit à pleine vitesse, l'estomac qui remonte dans la gorge et
le morceau de pain qui ne passe pas. « Pourquoi moi ? Et
toi SeBattreDebout ou toi SagePosée ? ». Sauf que non.
Pour des raisons tout à fait logiques et entendables, ça ne peut
être que moi. A cette minute, j'ai trois ans, envie de faire pipi
dans ma culotte et de sucer mon pouce. Vomir aussi accessoirement.
Certaines choses s'acceptent même si on sait que cela va être
terrible parce que l'engagement, parce que les loyautés, parce que
la légitimité d'un combat, parce que lâcher au milieu du gué ne
se fait juste pas. « OK mais je change de style et de méthode.
J'ai besoin que vous soyez d'accord avec ça ».
Le
premier CHSCT post-élection et qui m'a désigné comme Secrétaire a
été mémorable. J'avais eu Maitre DouéEtOpiniatre au téléphone
quelques jours avant et lui avait demandé conseil. Après tout, sa
spécialité était bien le droit social et le CHSCT. Je n'ai pas été
déçue et j'ai pu élaborer ma stratégie. Ma ligne serait donc
dure, pointilleuse, collant strictement aux procédures et au droit.
DirecteurGarous
a perdu le sourire moins de cinq minutes après ma désignation.
J'étais totalement focalisée sur ce que j'avais à dire et
insensible à tout le reste. Il voulait modifier un petit mot de rien
du tout dans le PV de la séance précédente, on fait ça en bonne
intelligence ? Je prenais note de sa contestation et le
porterais en mention dans le PV de cette séance ci. Non, je ne
modifierai pas le PV existant. Oui, on change de méthode et de
posture après tout nouvelle Secrétaire donc nouveau style. Il
mettait en cause les propos échangés lors de la précédente
instance ? Enregistrons les séances monsieur, il n'y aura plus
de problèmes... Cela a duré 4 heures. Il en est sorti furieux. J'ai
été prise d'une crise de Parkinson fulgurante et qui a duré une
bonne demi-heure. Ça n'était que le début d'une guerre d'usure
dont l'issue ferait, de toute façon, des dégâts et des
insatisfaits.
La
date de l'audience a finalement été connue. Les échanges par
téléphone avec Maitre DouéEtOpiniâtre étaient longs, intenses.
Il demandait des pièces et nous envoyions en recommandé. Les
navettes par mail ou courrier étaient constantes.
L'audience
approchait rapidement. Nous étions dans une procédure « en la
forme de référé» qui est plus rapide qu'une procédure classique
devant le TGI mais qui n'est pas un référé. Bref, une semaine
avant l'audience, notre avocat Maitre DouéEtOpiniâtre, nous informe
que l'avocate de la partie adverse, Maitre GlacialeDésincarnée,
demande le report. Une histoire de délais, de vacances, de « nous
ne sommes pas prêts ». C'était parti pour la valse des
quand-c'est-pas-l'un-qui-demande-le-report-c'est-l'autre. Un report
et c'est minimum deux mois voire trois avant l'audience suivante.
L'avantage, c'est qu'il est possible d'ajouter des pièces au
dossier.
La
procédure judiciaire suivait son cours et j'ai fini par aller
rencontrer notre avocat. J'ai pris le train pour aller à la grande
ville et arriver jusqu'à son cabinet.
C'est
grand, il y a des moulures et du parquet. L'assistante ressemble à
Grâce Kelly et je me sens toute toute petite avec mon lourd cartable
et mon manteau rouge. La salle de réunion est immense avec sa table
laquée blanche. Maitre DouéEtOpiniatre est chaleureux et ravi de me
rencontrer. Dans un langage policé, il commence à faire le point.
Il m'explique la procédure, les relations avec Maitre
GlacialeDésincarnée (qui vient d'un grand cabinet très très
réputé), commence à passer les pièces en revue. Quelque chose ne
passe pas. J'ai la sensation qu'il tourne autours du pot. Alors tant
qu'à y aller « en langage simple et sans fioritures Maitre,
quelles sont nos chances ? » Il m'a regardé droit dans
les yeux et a semblé me jauger « vous voulez une réponse
franche ? » Nous n'étions pas là pour faire des ronds
de jambes et préserver ma susceptibilité alors sa franchise était
incontournable. « Vos chances sont de 70-30... en leur faveur.
Votre dossier est fouillis, les pièces sont intéressantes mais
incomplètes. Juridiquement, la moitié de ce que vous présentez est
irrecevable et la partie adverse ne s'y est pas trompé». KO.
Sonnée. Coite. Ils n'allaient quand même pas s'imaginer que nous
allions nous laisser laminer sans nous battre. « De quoi avez
vous besoin ? ». Je suis repartie avec une liste très
précise, des modèles à respecter et un calendrier à tenir
absolument.
70-30...
Le pot de terre contre le pot de fer. 70-30... Des centaines de
salariés en attente que quelque chose change enfin. 70-30... Et en
mémoire les mots des collègues, les larmes, les colères et
l'impuissance. 70-30.... Nous avions trois semaines pour inverser la
tendance. 70-30...
J'ai
passé des heures au téléphone ce soir là avec SeBattreDebout et
LePilier. Il nous restait trois semaines et tout à revoir. 70-30...
Je trouve cela beaucoup plus haletant que mon récit. Hâte de lire la suite.
RépondreSupprimerNormalement, dans les films cela finit bien pour les gentils, non?
Je ne suis pas d'accord, ton récit est prenant!! Merci ;-)
SupprimerPuissant... et puis j'admire ton courage, jamais je n'aurais su...
RépondreSupprimerMerci :-)
Supprimer... je n'étais pas seule...