dimanche 28 avril 2013

Ce combat là (1/3)

Lorsque je me suis présentée aux élections pour devenir membre du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), je pensais que cette instance était de peu d'importance et que ça serait un mandat sympa (un mandat c'est deux ans). Je suis donc devenue élue dans le collège « employés » avec LePilier et SeBattreDebout (il y a aussi un collège « cadres », SagePosée).
Cette année là, j'ai découvert qu'il n'y avait rien de planplan dans cette instance. Qu'une structure comptant plusieurs centaines de salariés, couvrant un très large territoire et ayant plusieurs entités, c'est du boulot pour le CHSCT ! J'ai appris à lire les rapports des médecins du travail, à lire des plans d'architectes, à discuter avec l'inspection du travail, à repérer les défaut structurels dans des locaux, etc... J'ai aussi appris que lorsque l'employeur et la direction décident de changements et n'en démordent pas, les choses deviennent compliquées.

Parce que voyez-vous, le CHSCT est la seule instance de représentation du personnel avec un pouvoir décisionnel : l'instance peut voter des motions que l'employeur se doit de mettre en œuvre, à moins de les contester devant le Tribunal de Grande Instance. Je ne vais pas vous faire un exposé exhaustif mais je veux juste vous poser le cadre, pour la suite.

Lors de ce premier mandat, nous avons poursuivi des échanges autour de la question du stress au travail. Lors des deux précédentes mandatures déjà les collègues s'y étaient attelés : les travailleurs sociaux ont des missions difficiles avec un public en grandes difficultés. Cela ne va pas sans laisser de traces. Cela veut aussi dire qu'il y a des besoins en terme d'encadrement et de réflexion. Ajoutez à cela des restructurations et réorganisations institutionnelles constantes (tous les deux ans environ). Plus diverses réformes liées aux politiques sociales gouvernementales. Le contexte était...lourd.
Au cours de la première année, les termes ont changé sous l'impulsion des élus. Nous sommes passé de « stress » à « souffrance au travail et prévention des risques psychosociaux ». Certaines entités de MonAssoDavant faisaient face à de sérieux problèmes de management. Les arrêts maladies se multipliaient et la situation était vraiment tendue. Les collègues interpellaient leurs élus et il ne se passait pas une semaine sans que nous n’ayons des retours sur l'expression d'une difficulté dans le travail.
Avoir des difficultés dans son exercice professionnel du fait du métier et des missions exercées, c'est une chose. Avoir des difficultés supplémentaires du fait de supérieurs hiérarchiques déconnectés du terrain et autocratiques, c'en est une autre. Nous soulevions ces questions à chaque réunion et même en dehors. Il nous était répondu que ces difficultés relevaient de personnalités fragiles ayant des problèmes personnels. Réponse classique d'un employeur ne se sentant pas concerné.
Dans le milieu professionnel du social, la question de la souffrance au travail est assez peu regardée voire difficilement acceptée. Par les travailleurs sociaux eux-même d'ailleurs : les personnes que nous accompagnons sont dans de telles difficultés sociales, humaines et psychiques que, comme par effet d'échelle je suppose, les professionnels ont du mal à prendre leur propre souffrance en compte.

Je ne vous donnerai pas les détails des rencontres avec les médecins et ergonomes du travail, l'inspection du travail, l'étude menée par un médecin du travail sur la question de la souffrance et dont les résultats ont été effarants.
Toujours, face à notre insistance pour qu'un travail de fond soit engagé sur la question de la conduite du changement et la prise en compte de la souffrance au travail, l'employeur nous répondait que cela n'était que le fait de cas isolés, fragiles. Que tout allait bien. Que le changement était indispensable pour rester concurrentiel et pour la survie de MonAssoDavant. La perversité d'un mur narcissique à l'ego démesuré, DirecteurGarous. D'un côté, il nous remontait des équipes l'expression d'un mal-être et de problèmes de plus en plus forts. De l'autre, la restructuration à marche forcée se poursuivait et l'équipe de direction nous soutenait que nous dramatisions.

Et puis, il y a eu des inaptitudes temporaires décidées par des médecins du travail, liées aux conditions de travail. Il y a eu ce collègue qui lors d'un échange nous dit « le matin, je fais le tour des bureaux pour m'assurer que tous le monde est là » - il nous a fallu quelques secondes pour saisir qu'il exprimait sa crainte de passages à l'acte suicidaires de certains. Il y a eu ces collègues qui ont été vues sortant en larmes de réunions de service. Il y a eu cet accident de voiture/accident du travail.
Deux faits, presque concomitants, ont été les gouttes d'eau détonateurs de ce qui a suivi. Le premier a été un échange avec le médecin du travail. Elle a profité de ma visite de contrôle pour me signaler qu'elle observait depuis 6 mois une augmentation inquiétante des conduites addictives de collègues et d'ajouter « autant alcool que stupéfiants ou médicaments ». Le second a été un mot menaçant anonyme qui a été déposé sur le bureau d'un responsable. Pour ce dernier fait, la direction s'est indigné, a organisé des réunions institutionnelles pour clamer combien tout ceci était inadmissible. Silence sur tout le reste. 

A partir de là, les membres élus du CHSCT ont décidé que le temps des discussions interminables était fini et qu'il fallait faire intervenir un tiers : la médecine du travail ou l'ANACT ne suffisaient plus. Il y avait nécessité d'un regard extérieur pour nous aider à essayer de débloquer la situation et tenter de trouver une voie acceptable pour et par tous. Nous avons estimé qu'il y avait « risque grave » et avons convoqué un CHSCT exceptionnel avec à l'ordre du jour : la mise en place d'une expertise. Cette fois-ci, je peux vous dire que l'employeur s'est déplacé et ne s'est pas contenté d'être représenté par la direction. Le Secrétaire du CHSCT, LePilier, d'ordinaire plutôt calme a explosé et a pété un coup de sang qui restera probablement dans les anales. Au final, devant un DirecteurGarous livide et décomposé (dans tout ce merdier, moment nutella pour moi, j'avoue), l'expertise a été votée à l'unanimité.

Il a fallu ensuite démarcher les cabinets d'expertises, agréés par le ministère. Nous avons demandé des projets, des devis. Nous avons organisé des auditions afin de sélectionner le meilleur intervenant possible. L'employeur et la direction étaient présents à chaque étape.
Les réunions du CHSCT étaient des épreuves. L'air si chargé de tensions et de colère qu'il en était difficile à respirer. Finalement, le choix s'est arrêté sur un cabinet et la motion a été votée à l'unanimité lors d'une instance avec une opposition forte de l'employeur (qui ne vote pas). Enfin, nous allions pouvoir tenter de réfléchir ensemble à des solutions. Parce qu'il n'a jamais été question de refuser les évolutions et certains choix de restructuration. Mais tout cela, ça se prépare et ça se s'impose pas sans un minimum de discussions et de préparation. Comme le dit si bien Thévenet, il n'y a pas de résistance au changement. Il n'y a que du changement mal accompagné.

Mon téléphone a sonné ce lundi matin là alors que je venais à peine d'arriver au bureau. Au même moment, ma collègue élue « cadre » est entrée, son téléphone à la main. Elle avait un drôle d'air en refermant la porte. « Un huissier est passé ce matin. Le CHSCT, en la personne du Secrétaire,vient d'être assigné en justice par MonAssoDavant. Ils contestent l'expertise». Je n'ai pas été étonnée plus que ça mais ça m'a tout de même coupé les jambes. « Il nous faut un avocat ,SagePosée, il nous faut un putain de bon avocat. Ça va être moche ».

2 commentaires:

  1. Excellent comme d'habitude mais ne donne pas trop envie d'en rire. A savoir un excellent dossier dans Philosophie Magazine de ce mois-ci sur le sens du travail.
    Il faudrait que les anti-mélenchonniens primaires viennent lire ce texte.

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    1. Merci pour ton commentaire!Non, en effet il n'y a pas matière à rire... Merci pour l'info, je vais aller l'acheter (si je le trouve...):-)

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