Lorsque
je me suis présentée aux élections pour devenir membre du CHSCT
(Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), je
pensais que cette instance était de peu d'importance et que ça
serait un mandat sympa (un mandat c'est deux ans). Je suis donc
devenue élue dans le collège « employés » avec
LePilier et SeBattreDebout (il y a aussi un collège « cadres »,
SagePosée).
Cette
année là, j'ai découvert qu'il n'y avait rien de planplan dans
cette instance. Qu'une structure comptant plusieurs centaines de
salariés, couvrant un très large territoire et ayant plusieurs
entités, c'est du boulot pour le CHSCT ! J'ai appris à lire
les rapports des médecins du travail, à lire des plans
d'architectes, à discuter avec l'inspection du travail, à repérer
les défaut structurels dans des locaux, etc... J'ai aussi appris que
lorsque l'employeur et la direction décident de changements et n'en
démordent pas, les choses deviennent compliquées.
Parce
que voyez-vous, le CHSCT est la seule instance de représentation du
personnel avec un pouvoir décisionnel : l'instance peut voter
des motions que l'employeur se doit de mettre en œuvre, à moins de
les contester devant le Tribunal de Grande Instance. Je ne vais pas
vous faire un exposé exhaustif mais je veux juste vous poser le
cadre, pour la suite.
Lors
de ce premier mandat, nous avons poursuivi des échanges autour de la
question du stress au travail. Lors des deux précédentes mandatures
déjà les collègues s'y étaient attelés : les travailleurs
sociaux ont des missions difficiles avec un public en grandes
difficultés. Cela ne va pas sans laisser de traces. Cela veut aussi
dire qu'il y a des besoins en terme d'encadrement et de réflexion.
Ajoutez à cela des restructurations et réorganisations
institutionnelles constantes (tous les deux ans environ). Plus diverses réformes liées aux politiques sociales gouvernementales. Le contexte
était...lourd.
Au
cours de la première année, les termes ont changé sous
l'impulsion des élus. Nous sommes passé de « stress » à
« souffrance au travail et prévention des risques
psychosociaux ». Certaines entités de MonAssoDavant faisaient
face à de sérieux problèmes de management. Les arrêts maladies se
multipliaient et la situation était vraiment tendue. Les collègues
interpellaient leurs élus et il ne se passait pas une semaine sans
que nous n’ayons des retours sur l'expression d'une difficulté
dans le travail.
Avoir
des difficultés dans son exercice professionnel du fait du métier
et des missions exercées, c'est une chose. Avoir des difficultés
supplémentaires du fait de supérieurs hiérarchiques déconnectés
du terrain et autocratiques, c'en est une autre. Nous soulevions ces
questions à chaque réunion et même en dehors. Il nous était
répondu que ces difficultés relevaient de personnalités fragiles
ayant des problèmes personnels. Réponse classique d'un employeur ne
se sentant pas concerné.
Dans
le milieu professionnel du social, la question de la souffrance au
travail est assez peu regardée voire difficilement acceptée. Par
les travailleurs sociaux eux-même d'ailleurs : les personnes
que nous accompagnons sont dans de telles difficultés sociales,
humaines et psychiques que, comme par effet d'échelle je suppose,
les professionnels ont du mal à prendre leur propre souffrance en
compte.
Je
ne vous donnerai pas les détails des rencontres avec les médecins
et ergonomes du travail, l'inspection du travail, l'étude menée par
un médecin du travail sur la question de la souffrance et dont les
résultats ont été effarants.
Toujours,
face à notre insistance pour qu'un travail de fond soit engagé sur
la question de la conduite du changement et la prise en compte de la
souffrance au travail, l'employeur nous répondait que cela n'était
que le fait de cas isolés, fragiles. Que tout allait bien. Que le
changement était indispensable pour rester concurrentiel et pour la
survie de MonAssoDavant. La perversité d'un mur narcissique à l'ego
démesuré, DirecteurGarous. D'un côté, il nous remontait des
équipes l'expression d'un mal-être et de problèmes de plus en plus
forts. De l'autre, la restructuration à marche forcée se
poursuivait et l'équipe de direction nous soutenait que nous
dramatisions.
Et
puis, il y a eu des inaptitudes temporaires décidées par des
médecins du travail, liées aux conditions de travail. Il y a eu ce
collègue qui lors d'un échange nous dit « le matin, je fais
le tour des bureaux pour m'assurer que tous le monde est là »
- il nous a fallu quelques secondes pour saisir qu'il exprimait sa
crainte de passages à l'acte suicidaires de certains. Il y a eu ces
collègues qui ont été vues sortant en larmes de réunions de
service. Il y a eu cet accident de voiture/accident du travail.
Deux
faits, presque concomitants, ont été les gouttes d'eau détonateurs
de ce qui a suivi. Le premier a été un échange avec le médecin
du travail. Elle a profité de ma visite de contrôle pour me
signaler qu'elle observait depuis
6 mois une augmentation inquiétante des conduites addictives de
collègues et d'ajouter « autant alcool que stupéfiants ou
médicaments ». Le second a été un mot menaçant anonyme qui
a été déposé sur le bureau d'un responsable. Pour ce dernier fait, la direction s'est
indigné, a organisé des réunions institutionnelles pour clamer
combien tout ceci était inadmissible. Silence sur tout le reste.
A
partir de là, les membres élus du CHSCT ont décidé que le temps
des discussions interminables était fini et qu'il fallait faire
intervenir un tiers : la médecine du travail ou l'ANACT ne
suffisaient plus. Il y avait nécessité d'un regard extérieur pour
nous aider à essayer de débloquer la situation et tenter de trouver
une voie acceptable pour et par tous. Nous avons estimé qu'il y
avait « risque grave » et avons convoqué un CHSCT
exceptionnel avec à l'ordre du jour : la mise en place d'une
expertise. Cette fois-ci, je peux vous dire que l'employeur s'est
déplacé et ne s'est pas contenté d'être représenté par la
direction. Le Secrétaire du CHSCT, LePilier, d'ordinaire plutôt
calme a explosé et a pété un coup de sang qui restera probablement
dans les anales. Au final, devant un DirecteurGarous livide et
décomposé (dans tout ce merdier, moment nutella pour moi, j'avoue), l'expertise a été
votée à l'unanimité.
Il
a fallu ensuite démarcher les cabinets d'expertises, agréés par le
ministère. Nous avons demandé des projets, des devis. Nous avons
organisé des auditions afin de sélectionner le meilleur intervenant
possible. L'employeur et la direction étaient présents à chaque
étape.
Les
réunions du CHSCT étaient des épreuves. L'air si chargé de
tensions et de colère qu'il en était difficile à respirer.
Finalement, le choix s'est arrêté sur un cabinet et la motion a été
votée à l'unanimité lors d'une instance avec une opposition forte
de l'employeur (qui ne vote pas). Enfin, nous allions pouvoir tenter
de réfléchir ensemble à des solutions. Parce qu'il n'a jamais été
question de refuser les évolutions et certains choix de
restructuration. Mais tout cela, ça se prépare et ça se s'impose
pas sans un minimum de discussions et de préparation. Comme le dit
si bien Thévenet, il n'y a pas de résistance au changement. Il n'y
a que du changement mal accompagné.
Mon
téléphone a sonné ce lundi matin là alors que je venais à peine
d'arriver au bureau. Au même moment, ma collègue élue « cadre »
est entrée, son téléphone à la main. Elle avait un drôle d'air
en refermant la porte. « Un huissier est passé ce matin. Le
CHSCT, en la personne du Secrétaire,vient d'être assigné en
justice par MonAssoDavant. Ils contestent l'expertise». Je n'ai pas
été étonnée plus que ça mais ça m'a tout de même coupé les
jambes. « Il nous faut un avocat ,SagePosée, il nous faut un
putain de bon avocat. Ça va être moche ».
Excellent comme d'habitude mais ne donne pas trop envie d'en rire. A savoir un excellent dossier dans Philosophie Magazine de ce mois-ci sur le sens du travail.
RépondreSupprimerIl faudrait que les anti-mélenchonniens primaires viennent lire ce texte.
Merci pour ton commentaire!Non, en effet il n'y a pas matière à rire... Merci pour l'info, je vais aller l'acheter (si je le trouve...):-)
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