« Tu
comprends, j'ai deux mamans. Une maman de cœur et une maman de
sang » - « Ah oui ? Deux mamans ?! » -
« Ma vraie maman, enfin tu sais ma maman de sang, elle est
ailleurs... Elle a fait une bêtise à Papa » - « Et tu
as une fausse maman alors ? » je la regarde en souriant à
demi. Ce qu'elle me raconte je le sais déjà ou plutôt, je connais
sa situation au travers des mots et des rapports des adultes. Elle me
regarde presque indignée « mais ça existe pas une fausse
maman ! C'est ma maman là » et elle pointe son cœur avec
son petit doigt.
Un
papa, deux mamans, deux sœurs et une vie déjà bien marquée du
haut de ses quatre pommes et cinq années.
Elle
a connu l'errance de ses parents puis une famille d'accueil qui l'a
aidée à se structurer. Elle n'avait pas un an. Pendant qu'elle
grandissait, sa mère a agressé, blessé son père à l'arme blanche
et a été incarcérée.
Sa
mère a commencé son parcours carcéral en maison d'arrêt puis en
centre de détention après sa condamnation aux Assises. Une longue
peine.
Son
père a été SDF et a rompu tout lien pendant quelques mois puis a
décidé de se battre. Il est remonté de son propre enfer, marche à
marche jusqu'à être totalement réinséré. Il a rencontré une
femme, elle même mère d'une petite fille. Ensemble, ils ont
construit une vie qui a permis que Poussinnette vienne vivre avec
eux. Et une petite sœur est née aussi. Une vie de famille
recomposée, tranquille, assez équilibrée. Comme le papa pouvait me
dire « je suis le plus heureux des hommes avec toutes mes
petites femmes. Si seulement...si seulement Elle n'existait plus ».
Elle, la génitrice, la mère biologique, la maman de sang. Elle qui
l'avait marqué à vie, lui, et qui incarcérée loin avait demandé
son transfert pour se rapprocher de sa fille. Elle dont Poussinnette
n'a que peu de souvenirs et dont tous incluent des clés qui
tournent, des portiques de sécurité et des portes qui se referment.
J'avais
à peine commencé à travailler avec Monsieur et sa fille que je
recevais un courrier du Tribunal pour Enfants : la mère de
Poussinnette m'écrivait, par leur intermédiaire, en s'étonnant de
ne pas m'avoir encore rencontrée. Moi, enfin...le service éducatif
chargé d'exercer la mesure d'AEMO décidée par le juge des enfants.
Pour
aller rencontrer un parent en détention, il faut montrer patte
blanche : écrire au service pénitentiaire en justifiant la demande
+ photocopies des cartes d'identité et professionnelle + copie du
jugement de la mesure éducative sur lequel était écrit clairement
qu'il y avait à travailler le lien mère-enfant + deux photos
d'identités. Après, il faut attendre.
Je
ne vais pas écrire sur les mères en prison. Chaque situation est
unique. Celle-ci comme les autres.
En
l'espèce, ce qui n'a cessé de m'interroger tout au long du travail
fait avec les uns et les autres, en revanche, ce sont les rôles et
places. Être parent, c'est quoi ? Être un papa, c'est quoi ?
Et être une maman ?
Poussinnette
l'exprimait bien : maman de cœur et maman de sang. Elle ne
voulait pas dire par là qu'une maman l'aimait et l'autre pas. Elle
disait juste que l'une l'avait portée dans son ventre et mise au
monde et que l'autre avait choisit de l'aimer, comme une maman.
Du
point de vue de cette petite fille, les choses pouvaient paraitre
simples. Elles étaient, en fait, diablement compliquées. Parce
qu'elle appelait spontanément la compagne de son père « maman »,
qu'elle aimait comme une maman. Mais que dans le même temps ,elle
vivait dans la crainte que si sa « vraie » mère venait à
l'apprendre alors elle arrêterait de l'aimer. Comme si, il y avait
une maman autorisée et une maman clandestine.
Pourtant,
cette maman de cœur était bien celle qui s'occupait d'elle, se
levait la nuit pour rassurer, câlinait, grondait, aidait aux
devoirs, lavait le linge et préparait les repas familiaux. Cette
maman de cœur était facilitatrice des liens entre sa propre fille
et Poussinnette, accompagnait à l'école, discutait avec les
instits, emmenait chez le dentiste. Cette maman de cœur faisait
tiers entre le père et sa fille lorsqu'il y avait conflit, répondait
aux questions enfantines concernant sa mère de sang, a soutenu son
compagnon pendant les années de galères, au cours du procès. Cette
maman de cœur écrivait les lettres à la maman de sang sous la
dictée de Poussinnette, postait les enveloppes. Cette maman de cœur
l'aimait. Pourtant cette maman de cœur n'avait aucun statut
juridique, aucun droit légal, aucun droit administratif vis à vis
de cette petite fille. L'autorité parentale était exclusivement au
père. La mère de sang n'en avait plus.
Si
j'avais voulu être rigoriste et pointilleuse, je n'aurais travaillé
qu'avec le père et sa fille. Je n'aurais jamais rencontré la mère
ni la belle-mère. Ainsi en décidait le droit : la loi
considère que le travail doit se faire avant tout avec les
détenteurs de l'exercice de l'autorité parentale. La seule question
importante pourtant était : de quoi a besoin Poussinnette pour
grandir?
Il
a fallu jongler avec les procédures et le droit pendant quelques
temps. Cela a été un choix d'équipe. Il existait une association,
PontdeLiens, qui s'occupait du lien parent-enfant, pour les personnes
incarcérées. Nous avons décidé d'y faire appel. A eux le travail
de visites de reprise de liens mère-enfant, à nous l'exercice de la
mesure éducative c'est à dire la petite dans son contexte familial
et son cadre de vie. Mais activer leur intervention demandait du
temps et il fallait que les deux parents soient d'accord et le
demandent. La mère de sang a mis un temps infini à initier sa demande.
Pendant ce temps, je continuais à aller la rencontrer en détention.
Dans l'intérêt de qui ?
Terrible histoire.
RépondreSupprimerJe n'ose imaginer la situation si le père venait à disparaître.
Étant donné que la mère (de sang) a perdu son autorité parentale, la loi prévoit-elle que la mère (de cœur) puisse légalement adopter la fillette?
Bienvenue et merci pour ton commentaire :-)
SupprimerLa mère de sang a perdu l'exercice de l'autorité parentale mais elle n'en a pas été déchue ce qui veut dire, hypothétiquement,que si quelque chose venait à arriver au père, légalement, c'est à la mère que la petite devrait être confiée.
Il existe cependant la possibilité qu'un juge des enfants, saisit de la situation, décide que la petite reste avec sa mère de cœur et cette dernière pourrait être désignée "tiers digne de confiance".
Je ne crois pas que la loi autorise, en France, ce type d'adoption surtout lorsqu'il reste de la famille (outre la mère de sang, il y a des grands parents, des oncles etc...)
Merci pour ta réponse.
Supprimerbah du coup je re poste mon com de ce matin :
RépondreSupprimerMère de sang pour mère biologique mais aussi mère qui à fait couler le sang, image que je trouves très forte...
Oui, je le trouve forte et juste aussi...spontanément, je n'y avais pas pensé. Merci
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