mardi 22 mai 2018

Ces attentions douces

Ce week-end, j’ai fait quelques cartons et j’ai clôt un chapitre important de ma vie.
Ce week-end, j’ai beaucoup pleuré avec la sensation que mon cœur se morcelait et je ne comprenais pas pourquoi.
Ce week-end, la femme que je suis a compris quelque chose de la petite fille qu’elle avait été et qui se cache encore en elle.

Pendant cinq années, j’ai fait ma formation de psychologue du travail à Paris. Si j’ai pu faire cela, en habitant en Bretagne (en tout cas au début), c’est que ma Tante m’a accueillie chez elle. J’avais un studio indépendant au bout de son couloir. Et pendant toute la durée de cette phase parisienne de mes études, j’ai conservé ce lieu. J’y venais comme je voulais, quand j’en avais besoin. J’y étais chez moi. Même lorsque je suis passée de "je" à "nous".
Mes études étant terminées et ma vie étant désormais définitivement en Bretagne, il fallait bien que je finisse par vider les pièces et les rendre disponibles pour quelqu’un d’autre éventuellement.
Alors je suis venue en voiture pour quitter les lieux pour de bon. J’ai eu les larmes au bord des yeux constamment pendant 3 jours dans le meilleur des cas, voir je pleurais à grosses larmes. Et c’était bien plus que de la simple émotivité. Après tout, être hyper-sensible (pour de vrai) et hyper-empathique fait que je ressens tout plus fort, plus gros, plus grand, plus tout quoi. Mais c’était autre chose. Je pleurais de lourdes larmes de chagrin sans comprendre d’où cela venait.
Tout en rangeant, triant, jetant, empaquetant et redécouvrant certaines choses, je repensais à ces cinq années dans ce studio et ce qu’il a représenté et tout à coup j’ai compris.

Les attentions douces.

J’arrivais la plupart du temps au train du soir, tard voir très tard. Lorsque j’arrivais, souvent l’appartement était plongé dans le noir car ma Tante dormait déjà. Pourtant lorsque j’arrivais dans ma chambre, elle avait allumé le chauffage (lorsque c’était l’hiver) ou aéré la chambre (lorsque les températures devenaient plus clémentes). Combien de fois ai-je trouvé une assiette avec quelque chose à manger ou un bol de soupe ?! Je ne compte plus les petites mots me souhaitant la bienvenue ou m’invitant à partager un repas avec elle dans les jours qui suivaient ou me disant de surtout venir me servir le lendemain matin pour mon petit déjeuner car elle imaginait bien que je n’avais pas de quoi manger.
Je trouvais mes serviettes de toilette lavées et soigneusement repassées, posées sur mon lit.
En fonction des saisons je pouvais trouver quelques friandises faites maison ou un pot de sa délicieuse confiture d’orange.
Si elle était partie en vacances, le petit mot était plus long car elle me demandait de jeter un œil sur son appartement, d’arroser les plantes ou de ne pas hésiter à investir sa salle à manger (qui a une grande table) pour travailler à mon aise, ce que j’ai fait un nombre de fois incalculables.
Combien de fois a-t-elle rapporté du marché ce bleu de brebis gourmand et m’en déposait-elle un morceau soigneusement emballé « je sais que tu l’aimes bien celui-là » ?!
La liste est sans fin. Ces cinq ans ont été ponctués de (petites) attentions douces de sa part qui me faisaient au cœur une sensation légère et puissante à la fois : j’étais attendue.

Et j’ai pris conscience d’une chose et compris mes larmes de ce week-end. Cela a été le seul lieu où j’ai été attendue (indépendamment des amis qui vous invitent, c’est autre chose ça! Car être invitée, c’est être attendue). Cela n’est pas seulement une impression, c’était une réalité.
Et j’ai réalisé que c’était beaucoup plus profond et que cela venait de beaucoup beaucoup plus loin. Et j’ai compris mon chagrin aussi.
Vous voyez, tout autant que mes parents m’aient aimé et m’aiment encore, ma naissance a été comme dit ma mère « une heureuse surprise ». Je n’étais pas attendue, vraiment pas prévue au programme. Et nulle part, jamais, je ne me suis sentie attendue. Cela a aussi à voir au fait que je suis différente et que je ne me suis que rarement vraiment sentie à ma place. Et cela a été constant. L’impression d’être un chien dans un jeu de quille, de prendre trop de place (ou d’en demander trop) ou celle de gêner, d’être de trop.

De toute ma vie, jamais je ne me suis sentie attendue. Sauf pendant ces cinq années. Ces petits riens, ces gestes gentils, ces attentions douces venaient le marquer à chaque fois.
Je ne dis pas que d’autres personnes ailleurs dans d’autres contextes ne m’ont pas attendues elles-aussi. Je n’en sais rien en fait car il n’y avait pas d’attention ou de geste qui venait me le signifier. Et pour une personne aussi sensible et attentive aux petits riens que moi, cela compte. Ce n’est pas une question de valeur pécuniaire, c’est une question d’attention à l’autre.
Elle et moi, nous nous comprenons. Elle savait quand poser les questions ou quand surtout ne pas en poser. Quand venir toquer à la porte pour me sortir le nez de mes bouquins ou de ma morosité ou quand surtout ne pas intervenir. Parfois, je bossais comme une dingue enfermée dans ma chambre et lorsque j’en sortais pour aller aux toilettes par exemple, je voyais une part de gâteau ou quelques dattes ou autre posées là dans une de ces petites assiettes en fer blanc émaillées que j’adore. Je n’avais rien entendu. Elle était venue, cœur discret et si généreux, me déposer ça. Sa manière de me dire « je sais, c’est pas facile, tiens un peu de réconfort ».

Vous savez le plus dingue ? On ne se fait quasiment jamais la bise. On ne se manifeste que très peu notre affection en bonnes pudiques hyper-émotives que nous sommes. Mais il y a ces attentions douces.

Alors faire ces cartons, vider cette pièce et partir, c’est savoir que je ne serai plus attendue. Cela ne va pas empêcher que je vais continuer d’aller passer des week-ends à Paris et qu’elle viendra chez moi passer des séjours.
Mais dans mon quotidien, je ne serai plus attendue. Il n’y aura plus jamais ses petits gestes, ses « alors, cette journée ? » ou ses « tu t’assoies 5 minutes ? ». J’aime ma vie et j’ai bataillé si fort pour être où je suis aujourd’hui. Je ne regrette rien, absolument rien tant en bon qu’en moins bon.
Cela n’empêche pas que la femme que je suis aujourd’hui et qui est à nouveau "je", qui abrite en elle cette petite fille qui avait tant besoin d’être attendue, et qui vit ce qu’elle a tant aspiré à vivre, cette femme-là ne sera plus attendue.
Et cela m’a morcelé le cœur. 




 
Cela ne va pas m’empêcher de continuer à vivre et à être heureuse. Cela fait bien longtemps que j’accepte mes fêlures, mes cicatrices et que je ne les nie plus. Je m’efforce de faire du Kintsugi avec mon coeur et j’y réussi pas trop mal. Mon chagrin va passer. Et on continuera elle et moi à partager des moments drôles, tendres, forts ou tristes.

Pensez-y juste, dans votre vie quotidienne. Certains gestes qui peuvent paraître dérisoires font toute la différence : une petite lampe allumée si vous rentrez tard, un couvert mis même si l’autre ou les autres ont déjà dîné, un chauffage allumé, un petit mot simple, une tablette de chocolat ou que sais-je encore. Bref, toutes ces petites attentions douces qui vous font sentir attendu-e.
Parce que se sentir attendue, cela rend les combats de la vie plus supportables et cela vient aussi signifier « tu existes, pour moi tu es ».

Ces attentions si douces… 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire