dimanche 5 janvier 2014

Compagnons de mes voyages

Il y a eu plusieurs événements qui m'ont donné la gigote des doigts et les fourmillements du clavier. L'article de Corinne Perpinya. La réponse de Sophie Gourion. Un « jeu chaine » sur facebook proposant de lister 10 livres qui avaient marqués d'une façon ou d'une autre, de taguer 10 amis en incluant la personne qui vous avait elle-même taguée afin qu'elle voit votre réponse (ça parait compliqué mais ça ne l'est pas!)... Mon propos n'est pas de réagir à ces articles mais les lire m'a fait me questionner sur mon rapport à la lecture. Je ne pensais pas vraiment écrire quoi que ce soit à ce sujet. La chaine a, toutefois, enclenché les symptômes décrits plus haut (Sophie, je te vois sourire...).

Il se trouve qu'en plus, avec le temps hivernal pluvieux froid qu'il fait, j'investis massivement LE coin cocon ultime de chez moi : ma bibliothèque. Oui parce que voyez-vous, chez moi, j'ai une bibliothèque avec musique, banquette et cheminée... (ce que je ne dis pas c'est que cette « pièce » est un renfoncement au bout du salon et qu'elle fait 4m² alors ôtez-vous de la tête l'image d'une grande pièce avec fauteuils clubs en vieux cuir et des kilomètres de rayonnages). Donc, blottie sous un plaid, devant le feu qui crépite, un café/thé/pisse-mémé, des biscuits et avec du jazz (ou toute autre musique propice à ma lecture), je me régale, je me délecte, je déguste, je savoure, je dévore, je m'immerge, je frissonne, je ris, j'anticipe, je crains, je voyage, je fonds, j'humidifie mes yeux, j'aime. Bref, je lis... De la science-fiction, des polars, des récits, des romans, des nouvelles et même parfois de la poésie. De tout sauf des "classiques", des "bons" livres, de la "vraie littérature". Oui parce que mon rapport à la lecture est complexe, à moins qu'il ne soit compliqué je ne sais pas vraiment.

Gamine, j'étais constamment le nez dans les bouquins. Avoir une mère dont la profession touchait aux métiers du livre et qui avait un goût prononcé pour la littérature enfantine a grandement aidé. Je lisais partout, tout le temps et j'avais des livres en pagaille à disposition. J'en avais caché dans certains endroits stratégiques de la maison : derrière les toilettes sous la chasse d'eau pour en avoir à portée de main quand j'y allais. Sauf que dans une maison où vivent 5 personnes et avec un seul WC, j'entendais souvent tambouriner à la porte « sors de là, t'es encore en train de lire ?! ». Pouvant dissimuler l'objet du délice, je ressortais les mains vides et affirmais en toute mauvaise fois du haut de mes 6 à 10 ans que « non ! ». 
Il y avait eu aussi la disparition inexpliquée et inexplicable de la lampe de poche de la cuisine. Jusqu'à que je me fasse surprendre par ma sœur, un soir après l'extinction des feux, en train de lire avec la dite lampe de poche planquée sous les couvertures. L'objet m'ayant été confisqué, j'ai bien tenté l'expérience avec une bougie mais c'était bien moins concluant. Ma sœur (encore elle*...) m'a surprise et je me suis faite engueuler de belle manière (ce que je comprends aujourd'hui, j'étais un peu barrée quand même sur ce coup là...). J'ai donc grandi dans un milieu où la lecture était encouragée, où tout le monde lisait à la maison et où les livres étaient des êtres à part entière.

Je crois que ça a commencé à déraper lorsqu'il a fallu dans le cadre scolaire lire des liiiiiiiiiivres et faire des fiches de lectuuuuuuuure (ça commence en CM2, non?)... Le cauchemar a démarré là. J'étais réfractaire à ce genre d'exercice. On me demandait de mettre dans des cases mes plaisirs, mes émotions, mes interrogations, mes emportements, mes questionnements, mes réflexions... On me demandait de rationaliser la magie de la lecture. Et en plus je n'avais pas le choix des livres. D'un seul coup, la lecture devenait un exercice scolaire, intellectualisant, contraignant. Et plus je passais les classes plus cela se transformait en pensum absolu. J'ai développé une horreur de la « littérature ». Je me souviens de deux bouquins en particulier. L'un m'a enthousiasmé (« Au bonheur des dames » , le seul bouquin de Zola que j'ai pu lire jusqu'au bout et que j'ai aimé), l'autre a été un long chemin de croix du début jusqu'à la fin (« les séquestrés d'Altona » qui m'a cautérisé à jamais de l’œuvre de Sartre).
Je n'en pouvais tellement plus de tenter de lire des livres auxquels je ne comprenais rien, écrits dans des styles qui me rebutaient que je me suis rabattue sur les Barbara Cartland et consorts... Ouaip. Et ma mère qui m'offrait quantités de livres à Noël dont pour les deux tiers je ne parvenais pas au bout du premier chapitre... Marguerite Yourcenar à 14 ans, grand moment de solitude. Et je ne vous parle même pas de Proust vers 15 ans... La lecture était devenu une douleur. Je me sentais stupide, incultivée, bête. Je me reprochais de manquer de curiosité intellectuelle, d'appétit de connaissance, de volonté.

J'y suis revenue, entre autre, grâce à Daniel Pennac. « Comme un roman », dans les années 90, a été un puissant déculpabilisant. Relire les livres de mon enfance a été un autre facteur de retour en grâce des mots : Tout Jules Verne, certains Victor Hugo, Alexandre Dumas et d'autres (aaaah les bouquins de la Bibliothèque Internationale, des pépites pour la gamine que j'étais!). Pourtant pendant longtemps, je me suis dit que j'avais des « lacunes » et que je me devais d'y remédier. J'avais une liste des « à lire absolument si tu ne veux pas mourir idiote » : « Voyage au bout de la nuit », « l'étranger », Proust, Balzac..., j'ai oublié les autres.
J'ai fini par lâcher l'affaire. Les "lectures exigeantes" me gonflent. Je lis ce qui me fait envie, au petit bonheur, au gré des échanges, des rencontres. Je ne peux pas entrer dans une librairie sans acheter même un minuscule bouquin. J'ai des noms de titres ou d'auteurs griffonnés sur des bouts de papier, des carnets. Ma bibliothèque croule sous les bouquins et en plus ils ne sont pas classés. Comme ça, lorsque je cherche quelque chose à lire, ce méli-mélo me fait retomber sur des ouvrages perdus de vue. Ce qui est drôle c'est qu'il y a au moins un tiers des livres que je possède que je n'ai pas encore lu. Avec la reprise de mes études, je lis tellement de littérature scientifique comme on dit que quand je lis autre chose, je relis souvent les livres que j'affectionne particulièrement. Un peu comme mes doudous des mots.
Et puis j'ai une confession à faire... J'ai une relation à l'objet livre très charnelle, amoureuse quasiment. Parfois l'achat d'un livre est déterminé par sa texture, son format, son odeur. Oui bon, à chacun son addiction hein ! Je ne corne pas les pages, je ne « casse » pas la tranche, je n'écris pas dedans, je mets un marque page/ticket de métro/billet de train/ papier pour marquer la page (ne pas laisser un livre retourné!!!) . Je les bichonne, je les aime, je les cajole. Ils m'ont toujours suivi dans mes déménagements successifs. Parfois je donne mon exemplaire d'un livre que j'ai particulièrement aimé (et je me le rachète aussitôt) : je dois en être à mon cinquième ou sixième  "l'usage du monde"**.

Avoir reconnecté avec la lecture m'a permis de découvrir des auteurs, des livres et de retrouver ces sensations oubliées. Je peux ne pas lire pendant plusieurs semaines tout comme je peux passer un week-end entier à ne faire que ça. Aujourd'hui, la lecture c'est comme j'en ai envie, pour mon plaisir. Bref je fais comme ça me chante et ça change tout...

Et vous ? Votre rapport à la lecture et aux livres, il est comment ?


* Aucune sœur n'a été maltraitée pendant l'écriture de ce billet et si, lorsque nous étions enfants, nos rapports étaient tempétueux, sachez que désormais elle est une personne importante dans ma vie et de manière apaisée... Je tenais à le préciser. 
 ** "L'usage du monde" de Nicolas Bouvier 
 

4 commentaires:

  1. Si tu n'es pas prise comme juré du Livre Inter avec ce texte, c'est que quelque chose ne tourne pas rond dans le monde de la littérature. Lecteur compulsif depuis toujours, je ne peux lister tous les genres que j'ai pu lire. J'ai un fort souvenir des "Mémoires d'Hadrien" alors que je n'était qu'en 6ème ou 5ème. Je l'avais pris par hasard car l'empire romain était au programme. Curieusement, ce sont "Les aventures de Télémaque" de Fénelon que je n'ai jamais pu finir malgré plusieurs tentative.
    J'ai déjà parlé du plaisir de lire sur du papier bible l'intégrale de Boris Vian. La kindle ne remplacera jamais le livre.
    Pour conclure, je n'ai pas besoin de rappeler qu'un de mes restaurants préférés à Paris est "Les éditeurs" ;-)
    Bonne lecture

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    1. Bon, tu viens de me décider à tenter de me replonger dans les "Mémoires d'Hadrien" ^^ ...
      Merci de ton commentaire cher lecteur assidu ;-) et je dois dire qu'un repas-papote à Odéon là-bas serait sympa ;-))

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    2. Si tu peux rajouter un s à "tentatives" cela serait cool. Ma femme a dû mettre une photo du restaurant car nous y sommes allés lors de notre passage à Paris. Mais seulement pour le thé.

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  2. moi je me souviens, en 4eme, 325000 francs de Vaillant, livre chiant, sur le monde ouvrier...jusqu'a ce que le rythme me surprenne et la tragedie m'ecrase comme le bras du heros. et c'est justement ce roman que m'ont rappeles tes premiers textes dans ce blog que j'ai decouvert il ya de ca 2 ans, lors de mon exil aux US (dont je suis revenu, mais que vers mon premier exil en israel)... bref l'histoire continue...
    en tous cas ton texte comme toujours me remue le ventre car je suis tellement familier de ce rapport au livre que tu decris, que je detestais a force et qui me manque tant aujourdhui, vivant dans un pays (israel) ou je ne peux plus trouver de livres en francais (je les achete sur amazon et les lit sur ipad ou iphone, tu vois un peux...). bizarre pour un pays du peuple "du livre" et triste.
    j'achete beaucoup de livres a mes enfants mais parce qu'ici les livres ne sont pas "sacres" (ou alors juste les livres de priere) alors l'achat de bibliotheque (le contenant), d'etageres n'est pas une priorite, et donc les livres sont souvent empiles par terre, melanges a des livres d'adultes ou sans rapport un peu partout dans la maison...
    c'est dommage
    il faudrait que je me bouge
    meme si c tres caricatural et franchouillard de le dire, je crois veritablement que le respect de la personne passe par le respect des livres...

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