Vous connaissez "Parts de Vous" et vous vous exprimez régulièrement avec sensibilité, force, délicatesse, talent et conviction. C'est ce que j'apprécie tant dans vos écrits.
Lorsque j'ai reçu le texte d'Elisabeth, je me suis retrouvé plongée dans ma vie de jeune adulte. Pas du tout parce que j'ai vécu la même chose, non, mais parce que cela m'a renvoyé à certains événements et aux choix que j'ai pu faire alors. Et cela ravive cette question qui jamais ne me quitte : qu'est-ce qui fait que l'on arrive à prendre certaines décisions (salutaires) à certains moments alors même que les circonstances et qui on est à ce moment là pourraient nous entrainer résolument sur une autre pente, plus négative ou nocive... l'instinct de survie? Le libre arbitre? La raison?
Pour l'instant, ce sont les mots d'Elisabeth qui comptent et la force de vie qui s'en dégage. Elle a accepté que les commentaires soient ouverts mais n'y répondra pas forcément tout de suite.
"Novembre
1985. J'ai 12 ans et je suis en 5eme dans un collège de quartier ni
vraiment bourgeois, ni tout à fait populaire. Les restos du cœur
n'existent pas encore, et sur les ondes Balavoine chante Sauvez
l'amour.
Ma
vie d'alors est passablement compliquée, et je passe bien plus de
temps à cacher des secrets d'adultes qu'à vivre. Déjà à cet âge
je ne suis pas très sociable. Mais j'ai une amie. De celles qui vous
éclaire de l'intérieur, par sa seule présence.
Nous
venons toutes deux de familles atypiques. Les étiquettes nous
collent aux baskets et nous les piétinons avec rage. Je sais depuis
le premier jour que chez elle tout n'est pas rose. Elle a deux ans de
plus que moi, et certains de ses amis sont bien plus âgés encore.
L'âge des motos, des tatouages, et des cigarettes roulées.
Au
fil des mois, se crée une passerelle entre plusieurs mondes. Je vais
emprunter assez souvent la passerelle vers les copains plus âgés.
Découvrir le plaisir des pointes de vitesse à moto, sans casque.
Sans se tenir. Les slaloms à contre-sens sur l'autoroute. Imiter la
signature de ma mère ; tailler les cours à la barbe des
surveillants et essayer sans succès d'apprécier le goût du whisky.
Depuis
quelques semaines, néanmoins je vois mon amie changer, elle maigrit
à vue d’œil, et sa lumière semble vaciller. De mon côté mes
prises de risques augmentent, je vais au conflit systématique. Je
n'existe que dans la rage. Aussi quand il est question de rejoindre
les copains plus âgés au squat je n'hésite pas. Je pense même
essayer ces fameuses cigarettes, après tout pourquoi pas. Cela ne
peut pas être pire que leur mauvais whisky.
Mais
quand je les rejoins ce jour là, elle est déjà partie. Près
d'elle abandonnée une seringue dont quelques gouttes perlent encore.
Elle respire, sourit, mais la personne que je connaissais n'est plus
là. Et j'ai beau la secouer, rien n'y fait. Elle ne VEUT pas
revenir.
Subitement
je vais voir. Vraiment. Les yeux vides, les mains qui tremblent un
peu, juste un peu, le matelas répugnant de crasse posé à même le
sol, ces sourires qui n'en sont plus depuis un moment déjà, les
bouteilles vides qui jonchent le sol. Et je regarde mon amie, sachant
que je ne peux rien faire. Sur ce chemin là, je ne peux pas aller.
Je
finis par me laisser tomber à côté d'elle. Anesthésiée. Ne
pouvant plus penser. C'est là que F va me tendre une autre seringue.
Remplie.
Encore
aujourd'hui j'ignore pourquoi j'ai refusé. La peur, sûrement. De
perdre complètement pied. La seule chose qui me restait c'était le
contrôle. Connaître les secrets, jongler avec les vérités. Le
contrôle. Aussi dérisoire soit-il ...cette drogue l’annihilait.
Ce
jour là, j'ai compris que dans ce vieux hangar rouillé je ne
pouvais rien contrôler. Pas même ma peur. Celle qui m'a fait fuir.
Un
mois plus tard. Elle quittait le collège, officiellement c'était dû
à une mutation de sa mère ailleurs. Officieusement, personne ne
savait comment gérer sa mutation à Elle.
J'ai
appris que le contrôle est illusoire. Et vital. Tenter de tout
prévoir, pour pouvoir s'adapter à l’imprévisible. Et lâcher
les mains. A contre-sens du monde.
Partir
effacer sur le Gange
La douleur
Pouvoir parler à un ange
En douceur
Lui montrer la blessure étrange
La douleur
D'un homme qui voudrait trouver
En douceur
Au fond de lui un reste de lueur
L'espoir de voir enfin un jour
Un monde meilleur
La douleur
Pouvoir parler à un ange
En douceur
Lui montrer la blessure étrange
La douleur
D'un homme qui voudrait trouver
En douceur
Au fond de lui un reste de lueur
L'espoir de voir enfin un jour
Un monde meilleur
Balavoine "
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