Trois
semaines pour faire basculer ces 70-30...
Il
fallait certains documents très précis, des comptes-rendus mais
surtout des témoignages. Les attestations... « Je
soussigné-e....... atteste que les faits suivants..... ». Il a
fallu convaincre parce qu'il y avait la peur. S'exprimer auprès des
élus c'est autre chose que de relater des faits dans un écrit qui
sera utilisé dans une procédure judiciaire. Et même si,
juridiquement, MonAssoDavant n'avait pas le droit de s'en prendre à
eux pour avoir établi une attestation, il y a tant d'autres manières
de prendre des mesures de représailles, tant d'autres... Ils
n'étaient pas protégés par leur statut de représentants du
personnel. Pourtant certains, un certain nombre même, ont eu ce
courage. Pas forcément ceux qui éructaient le plus fort contre
l'institution d'ailleurs. Pas forcément ceux qu'on entendait le plus
se plaindre de l'employeur dans les grands messes institutionnelles.
Ceux-là, étonnamment, n'ont jamais donné suite à nos
sollicitations. Mais ces attestations, il a tout de même fallu aller
les chercher avec la force de nos convictions. Et aller les chercher
là où elles se trouvaient quand il y avait besoin. J'en ai fait des
kilomètres pour aller récupérer quelques feuilles précieuses
remplies de l'expression d'une souffrance imprégnée.
Pendant
ce temps, la direction utilisait tous les outils institutionnels
(réunions, affichage, bulletins d'info internes) pour expliquer à
tous les salariés combien le méchant CHSCT voulait mettre en péril
MonAssoDavant avec une vilaine et très coûteuse expertise qui n'était pas justifiée.
Que d'ailleurs Maitre DouéEtOpiniâtre avait demandé un report
d'audience et retardait de ce fait la procédure. Oh, jamais de
manière frontale et diffamante. Mais des collègues revenaient vers
nous « Alors, il parait que vous avez demandé un report ?
C'est quoi cette histoire, qu'est-ce que vous foutez ? » -
« Oui nous avons du demander le report car leur avocate a
communiqué 200 pages de pièces à cinq jours de l'audience. Hors
délais et notre avocat a besoin de temps pour éplucher les
documents en question ». Etc...
Pendant
ce temps là, il fallait continuer à bosser, aller sur le terrain et
exercer mon métier. Être disponible et présente aux familles, aux
collègues, aux partenaires. Ma chance a été d'être dans une
équipe solidaire et soutenante. J'étais sur les nerfs. Je ne
dormais presque plus. Mais ça, j'en ai déjà parlé. La vie du
boulot continuait. La vie du CHSCT, avec les affaires courantes et les
bagarres liées à d'autres questions, aussi.
Je
me rappelle que les documents arrivaient de toutes les entités.
N'ayant pas de placard fermant à clef ni de bureau dédié pour le
CHSCT, je rapportais tout le soir à la maison. J'avais fait des
photocopies de tout. J'organisais, triais, numérotais, vérifiais
les signatures. Et surtout, je lisais ce qu'il-elle-s disaient... Et
ça me remettait une couche de hargne et d'énergie pour continuer.
Il fallait que tout cela cesse !
Je
me rappelle les épaisses enveloppes envoyées en recommandé avec AR
contenant les précieux documents.
Je
me rappelle les soirées passées au téléphone avec
DouéEtOpiniâtre, assise sur le plancher de mon salon, entourée de
papiers, épluchant chaque pièce et griffonnant ce qu'il me disait.
En outre, il nous avait prévenu : il nous fallait être
précautionneux et vigilants en instance CHSCT, pas de dérapages ou de
coup de sang.
Je
me rappelle les soirées chez LePilier, devant sa cheminée à
évacuer les tensions et les peurs, à se remotiver et à rester
soudés. Nous étions un Tout. J'étais en première ligne mais sans
eux, jamais au grand jamais, je n'aurais tenu. Je prenais juste la
suite de collègues ayant, eux aussi, mouillé leurs chemises sur
cette question oh combien importante. C'est tous les quatre que nous avons oeuvré ensemble, beaucoup et jusqu'au bout.
Je
me rappelle du départ en congé mater puis de la naissance du bébé
de SeBattreDebout. Un petit ange aux joues rebondies et aux poumons
puissants.
Je
me rappelle de cette énième conversation téléphonique du soir
avec DouéEtOpiniâtre, assise sur mon balcon en train de fumer. « Et
maintenant Maitre, qu'en pensez-vous ? Nos chances ? »
- « ... 70-30, Madame Frayer, 70-30... en notre faveur... Nous
sommes prêts ». Nous étions passés de « vous » à
« nous ».
Enfin,
oui enfin, le jour de l'audience est arrivé. Après tous ces mois.
Je crois qu'il faisait assez beau ce jour là mais je ne m'en
souviens plus vraiment. Je me souviens que nous étions là, tous les
quatre (en fait tous les cinq car SeBattreDebout était venue avec
son petit, né à peine un mois avant), que l'employeur était
représenté par DirecteurGarous et que le président du conseil
d'administration n'avait même pas pris la peine de se déplacer.
Le
Président du TGI a donné 20 minutes à chaque avocat pour plaider.
Maitre GlacialeDésincarnée a été la première puisqu'elle
représentait le demandeur. Elle a monologué pendant 30 minutes. Je
faisais des bonds intérieurs vu ce que j'entendais et qu'elle
bouffait du temps de parole de NOTRE DouéEtOpiniâtre à nous. Puis
ça a été son tour. Il avait 10 minutes. LePilier qui avait
plusieurs fois émis des doutes sur les compétences de notre avocat
était stupéfié. Là où GlacialeDésincarnée parlait chiffres,
coût de l'expertise, équilibre budgétaire, DouéEtOpiniâtre
parlait de souffrance, de risques pour les salariés, d'Humain. Là
où GlacialeDésincarnée était monocorde et le nez constamment dans
ses papiers, DouéEtOpiniâtre interpellait, exposait sans jamais
regarder ses notes, le verbe riche et la voix passionnée. Une
plaidoirie magistrale !
Et
puis il a fallu attendre : délibéré à deux mois. Attendre
encore...
je
vais vous épargner ces huit semaines d'attente. Elles ont été
éprouvantes tant humainement qu'institutionnellement. SaBattreDebout
et moi sommes allées directement au greffe du TGI ce jour là. Nous
ne pouvions pas attendre que Maitre DouéEtOpiniâtre soit notifié
et nous appelle ensuite. La greffière n'était pas très chaude pour
nous donner la décision mais elle a finit par le faire.
On
est sorties du bureau et on est restées sur le banc dans le couloir.
Nous n'avons pas voulu aller directement à la dernière page, celle
de la décision. Non, nous avons lu l'intégralité des cinq pages.
Attendus après attendus. Et enfin... « déboutons
MonAssoDavant de sa requête blablabla ». Ils étaient déboutés
de leur demande et ils s'en prenaient plein la tronche.
SeBattreDebout me regarde presque incrédule « on a gagné ! »
et s'est mise à pleurer. Je n'ai pu que lui répondre « non,
ils ont perdus » et me suis mise à trembler.
LePilier
et SagePosée étaient chacun en réunion. Nous savions qu'ils
avaient leur téléphone à portée d’œil et leur avons envoyé un
texto.
Vous
pourriez croire que j'ai été euphorique et soulagée ? Oui,
pendant quelques minutes. Je ne me faisais aucune illusion. Ils
allaient faire appel de cette décision. Et ils l'ont fait, la veille
de la date d'expiration du délai d'appel.
Je
suis partie quelques mois après...
Et
aussi :
le
CHSCT ne disposant pas de fonds propres, tous les frais d'avocats ont
été réglés par l'employeur, c'est la loi. Au terme de la
procédure en première instance, les frais cumulés des deux avocats
équivalaient quasiment à la moitié du prix de l'expertise.
Les
tentatives de médiations suite à la décision de première instance
ont été mises en échec par le conseil d'administration (qui nous
demandait de nous retirer de la procédure).
Sans
les attestations et le courage de certain-e-s salarié-e-s, de
certains médecins du travail aussi, jamais ceci n'aurait été
possible. Merci à eux.
Maitre
DouéEtOpiniâtre avait très rarement vu une décision de première
instance aussi motivée et aussi précise. Lorsque la date d'appel a
été connue, ils nous a informé que cela se ferait sous une forme
inhabituelle pour un tel dossier : toute la Cours (chambre?)
siégerait (j'ai oublié les termes précis, je m'excuse auprès des
juristes). Cela montrait, d'après lui, l'importance du sujet.
J'ai
été obligée de laisser nombres de faits pour vous relater ce
combat là (qui a duré pas loin de deux ans), sous peine d'en faire un récit fleuve. Il y en a eu
beaucoup d'autres que j'ai laissé de côté.
J'étais
dans ma voiture sur une route du FFDMC lorsque le téléphone a
sonné. SeBattreDebout venait aux nouvelles et m'en annoncer une aussi. J'étais partie depuis
plusieurs mois déjà et j'avais mis un paquet de distance. Nous
étions à une semaine de l'appel auquel j'avais
prévu d'aller, malgré tout. MonAssoDavant
se désistait de l'appel. Ils ont jeté l'éponge à quelques jours de
l'audience devant la Cour d'Appel. Là, j'ai pleuré, j'ai ri et je
suis allée me prendre une mine colossale chez des potes. Tout ça
pour ça. Tout ça pour qu'au final, ils cèdent. Le pot de terre
avait fait verser le pot de fer. « Victoire »
douce-amère. Et à quel prix...
Le
travail allait pouvoir commencer, mais ça, c'est une autre histoire
à laquelle je n’appartenais pas...
Yessssssssss! Les gentils ont gagné.
RépondreSupprimerJ'aimerais bien écrire comme toi.
Oui, on peut dire ça :-)
SupprimerMerci dis donc!!
Bravooooooo !
RépondreSupprimer:-)))
Supprimerpas mieux que Patrick.... il a dit ce que j'aurais écrit !
RépondreSupprimer;-) Merci...
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