Il
y a quelques temps de ça, lors d'une de mes escapades parisiennes, je suis allée
trainer mes guêtres au Musée en Herbe car il y avait une expo
Vasarely et que j'avais envie d'en découvrir un peu plus sur lui.
Le
Musée en Herbe est un musée avec des ateliers et des animations
pour les enfants. Donc pendant ma visite, il y avait un groupe assez
disparate de petits/trolls/grumeaux/anges/démons/cequevousvoulez.
J'ai passé autant de temps à les observer faire leurs activités et
surtout à les écouter qu'à regarder les œuvres présentées.
Les
enfants et l'art, c'est juste du bonheur en barre. Ils ne sont pas
encore formatés et expriment ce qu'ils ressentent sans retenue.
J'adore emmener des enfants au musée.
Il
y avait une petite fille qui, par sa manière d'être, m'en a rappelé
une autre, ailleurs, il y a longtemps. Un grand moment de mon boulot
d'éduc' et une leçon aussi, une vraie leçon d'humilité.
Nous
intervenions mon collègue et moi dans cette famille depuis deux ans
au moins. Un papa (à la maison, en « reconversion
professionnelle »), une maman (employée à la municipalité)
et trois filles. Une maison à peine tenue, dans un bazar monstre et
sale. Un contexte pauvre tant matériellement qu'intellectuellement.
Fifibulone
est en CM2 cette année là. C'est une gamine grande, pleine de bras
et de jambes, incapable de rester posée plus de quelques minutes et
avec un tempérament très très réactif. Elle peut piquer des
colères ou s'en aller pour des raisons connues d'elle
seule. Elle vit dans un monde bien à elle et lutte pour s'adapter à l'autre, le nôtre.
Donc
mon collègue et moi pensons qu'il serait bien sympa, comme ça nous
arrive, de faire une sortie avec les filles. L'écart d'âge entre
Fifibulone et ses deux petites sœurs rend la chose compliquée. La
ludothèque ? Super pour les petites moins fun pour la grande.
Nous décidons donc de nous répartir autrement : à lui la
ludothèque et les deux pitchounes. A moi Fifibulone et... « bowling
ça te dit ? » - « suis pas un garçon » (ça
commence bien) « un film au ciné ? » - « humff
bof ». On continue comme ça, les parents s'en mêlent avec
leurs propositions : faire les magasins, aller au fastfood, aller
au parc pour voir les volières. S'y ajoutent les miennes : la
bibliothèque, la patinoire,... Je commence à désespérer,
d'autant que j'appréhende un peu les réactions de la miss donc il
faut qu'elle « adhère » à minima à la proposition.
Elle
se plante devant moi : « je veux aller au musée des Beaux
Arts ». Là, je vous assure, ça a rendu tout le monde muet.
Ses parents la regardait comme si elle avait pondu un oeuf, ses
soeurs sentant l'atmosphère un peu bizarre ne pipaient mot, mon
collègue se retenait de rire (il se moquait de moi en fait, le
vilain) et moi , tout en me demandant comment diable du petit village
où elle habitait elle avait entendu parler du musée des Beaux Arts
de la ville d'à côté, je jubilais (la culture et les enfants en difficultés sociales, c'est mon dada) . Parce que, il faut être
lucide : pas un bouquin dans la maison et l'unique source de
culture était la télé et pas Arte, croyez-moi.
Je
vais aux infos : musée fermé pour Damidot-isation. Réouverture
trois mois plus tard. Fifibulone en a parlé à tout le monde et me
l'a rappelé à chaque fois que je la voyais, jusqu'à que nous y
allions.
Le
temps a passé et Fifibulone traversait une période vraiment
difficile. Des questions se posaient pour son orientation l'année
suivante. Elle avait peut-être des troubles du comportement et un
monde à elle, cela ne l'empêchait pas d'être vive et très fine.
Donc, elle était remontée comme un coucou suisse et constamment à
fleur de peau. Situation explosive à la maison.
Enfin
le grand jour. Ce matin là, au moment de m'habiller, je me suis
ravisée : j'avais prévu robe et talons, je me suis rabattue
sur jeans et kickers. La tenue caricaturale de l'éduc' quoi !
D'ici à ce que Fifibulone fasse une crise en pleine ville et trace
sa route, je devais pouvoir la courser pour la rattraper.
Je
vais la chercher. Garer la voiture. La regarder droit dans les yeux
« tu te balades comme tu veux dans les salles mais RESTE DANS
MON CHAMP DE VISION ». On traverse le pont, on entre au musée.
Et on commence à se balader dans les salles. Peintures variées.
Époques différentes. Elle s'approche d'une peinture « De-la-tour-Geor-ge » et elle reste scotchée. « C'est beau. On
dirait qu'il y a une bougie mais elle y est pas. Comment il fait ? ».
J'ai envie de la serrer dans mes bras.
Salles
après salles, elle s’assoit pour lire les plaquettes mises à
disposition, annone parfois, me demande ce que ça veut dire,
regarde, contemple, se tait.
Nous
arrivons face à une peinture monumentale, XVIIème de je ne sais
plus qui. Elle se plante devant et ne bouge plus. Je lui demande ce
qui l'attire. Et là, elle me décrit avec ses mots à elle ce que
nous voyons. C'est une représentation des Noces de Cana. Elle me
raconte l'eau changée en vin, la multiplication des pains. Elle me
pointe des personnages et me parle de Jésus, de sa mère, de son
père qui n'est pas son père. Elle me raconte une histoire et je
suis ébahie, charmée.
Puis,
parce qu'elle est comme ça, elle s'arrête et hop ! On change
de salle. On continue notre visite et je l'écoute me raconter
l'histoire de certaines œuvres qu'elle découvre. L'histoire des
personnages et des animaux.
Section
contemporaine. A un moment, elle s'arrête, regarde le tableau (du
non figuratif vraiment coloré et tordu), regarde le nom du peintre
« Picasso ». Clairement quelque chose la dérange. Elle
hésite puis finit par lâcher « c'est pas pareil ». Je
suis intriguée et larguée. Elle m'attrape la main et me tire. On
revient sur nos pas. Elle se plante devant un dessin de nu au fusain, très
figuratif celui là « c'est le même mais c'est pas pareil,
regarde ! » Je regarde le nom du peintre : Picasso.
S'en
est suivi un échange sur l'évolution des styles des peintres,
qu'ils ne peignaient pas de la même manière toute leur vie. Et ça
a glissé sur « mais moi non plus je ne serai pas pareille
toute ma vie » et ses réflexions sur ce qu'elle voulait pour
les années à venir.
Moments
de grâce totalement hors du temps.
La
discussion a continué dans la voiture pendant la demi-heure de
route. Elle exprimait ses envies (qui n'étaient pas forcément
celles de son père) et ses craintes.
Cet
après-midi là, elle n'a pas eu un écart de conduite, pas un éclat
de voix, pas un mouvement d'humeur. Elle m'a étonnée de bout en
bout et je le lui ai dit. Je ne lui ai pas dit en revanche que
j'avais chaussé mes kickers à cause d'elle. Ça m'a appris que
j'avais projeté mes craintes plus qu'autre chose. Pas bien fin.
Arrivée
devant chez elle, elle descend de la voiture, me dit au revoir et
avant de claquer la portière « dis, on y retourne quand au
musée des Beaux Arts ? »
Qu'est devenue Fifibulone? Une artiste? Ha VAsarely au delà de son style qui fait penser au Rubik's Cube il ne faut pas oublier que c'est l'inventeur de la vaseline.
RépondreSupprimerNous sommes retournées au musée :-)
SupprimerBen justement, pas que. Il n'y a pas que des "cubes" dans ce qu'il a fait, j'étais étonnée (avec un "S" d'ailleurs Vasarely, shame on me).
Inventeur de quoi?! Tu veux parler des illusions d'optiques ou de la vraie vaseline...?
l'art, de l'inutile indispensable. :)
RépondreSupprimerun an avant de décrocher le sésame pour l’école d'éduc, je m'occupais d'une petite fille de 2 ans. Un jour on part en expédition vadrouille toutes les deux et au hasard d'une envie on entre dans une galerie.
Au bout d'un couloir, un tableau représentant un violoniste tsigane, mélange de figuratif et d'abstraction. Une partie du tableau semble disparaitre.
Mam'selle crevette s'est assise à même le sol et à fixé le tableau un long moment. Je m'assoie avec elle et j'attends.
Un peu après elle se lève, souris et me demande à rentrer.
Au moment de sortir de la galerie, le propriétaire lui demande pourquoi elle est restée si longtemps devant ce tableau.
"J'écoutais la musique s'enfuir."
<3
SupprimerVoilà pourquoi j'aime tant découvrir l'art avec les enfants. Tout est là, dans ce que tu racontes...
Merci d'avoir partagé!
quels beaux moments, un peu de grâce retrouvée. Et les yeux d'enfants devant des oeuvres sont autant de tableaux en eux mêmes
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire :-)
SupprimerOui, c'est exactement ça!
merci à toi de si bien savoir nous faire vivre ces instants de grâce de ta vie passée et présente <3
RépondreSupprimerMerci...:-)
SupprimerLes ados aussi aiment les musées quoi qu'ils en pensent. A chaque fois que j'ai fait une sortie "Art", en groupes avec un production écrite, orale, ou dessinée, ils se sont étonnés eux-mêmes. Et en plus souvent dans les "petites villes" les musées des Beaux-Arts sont de qualité et pas chers. (ce qui dans l'éducation nationale est loin d'être un détail !) Dans ma ville le musée est gratuit pour tous les élèves.
RépondreSupprimerIl y a comme un discours élitiste autour de la culture qui fait que beaucoup se disent que "ça n'est pas pour eux". Et ça me désole parce que la culture est quelque chose de tellement vaste...Ce que tu décris est chouette.
SupprimerJ'aime aussi ces musées des Beaux-Arts là où souvent il y a de réels efforts pédagogiques et d'accessibilité pour tous.
seul bémol, les musées ou plutôt leurs gardiens ne voient pas toujours d'un bon oeil la visite d'enfants ou d'ados. pour avoir emmené les miens lorsqu'ils étaient petits, lorsqu'on entrait dans les salles, les gardiens nous scrutaient comme si j'avais introduit dans la salle une bande de fauves dangereux. Si la ligne à ne pas dépasser était à un mètre du tableau, eux devaient se tenir à 2 m, faute de quoi ils se prenaient une injonction... et pourtant jamais il ne leur serait venu à l'idée de toucher ou abîmer les oeuvres mais leur seul statut d'enfant suffisait à les rendre plus que suspects.
RépondreSupprimerIl y a quelques semaines au Musée d'Orsay, ce sont des adultes que j'ai vu toucher les tableaux...
Mais les enfants sont parfois perçus comme des fauves dangereux!! ;-)) (remarque, ils peuvent l'être aussi...).
SupprimerAu regard de ce que tu dis, c'est plus une question d'éducation et de respect que d'âge...toucher les tableaux, faut être dingue!