Il
se trouve que ce matin, deux moments quasi concomitants m'ont
conduite à coucher ces mots. D'une part, j'ai vu passer dans ma TL
les tweets de @Juge_Marie (juge pour enfants si je ne me trompe pas)
et d'autre part, je tweetais avec une personne qui travaille en soins
palliatifs. A chaque fois, le mot « accompagnement »
apparaissait.
Cela
m'a replongée dans mon métier initial. Celui pour lequel j'ai fait
trois ans d'études et qui m'a portée, enthousiasmée, interrogée,
remise en question, usée, faite pleurer et rire, m'a faite grandir
et regarder le monde autrement.
Je
ne dis pas que ce billet va être très léger ou très drôle mais
je ne peux pas m'empêcher de vous en parler.
Être
éducatrice qu'est-ce que c'était, qu'est-ce que c'est ?
Lorsque j'ai commencé ce métier, être éducatrice c'était sauver
le monde. J'ai appris l'humilité depuis et heureusement. Se prendre
pour Zorro, WonderWoman et Dieu n'a jamais fait avancer le
schmilblik, jamais. Et ça, croyez-moi, ça s'apprend en accéléré.
J'ai revu mes prétentions à la baisse et ça m'a permis de
découvrir ce qu'était réellement ce travail.
Savez-vous
que éduquer veut dire « mener, conduire au dehors » ?
Magnifique et vaste programme, non ?!
Être
éducatrice, dans le domaine où j'exerçais soit la protection de
l'enfance et la prévention, c'était accompagner les familles dans
leurs difficultés de manière à ce qu'elles puissent mettre en
place certains changements. Cela veut tout et rien dire. Pour
résumer : vous avez déconné plus ou moins dans la grande
largeur avec vos enfants, on vous donne une chance de changer votre
manière d'être parent(s), on protège vos enfants mais on les laisse avec vous, une mesure éducative est mise en place,
si ça change pas faudra peut-être envisager les choses autrement
pour vos petits. Et en plus, on leur demande d'ouvrir leur porte,
parce que cela se passe dans l'intimité de leur domicile, et de dire
« bonjour Madame, merci Madame ». Simple ni pour eux, ni
pour nous.
Accompagner,
étymologiquement, c'est « marcher avec un compagnon ».
Un compagnon, c'est « celui avec qui on partage le pain ».
Pas des termes neutres et fourres-tout donc. Pour les collègues de
l'équipe dans laquelle j'étais et pour beaucoup d'autres
professionnels, ce terme n'est pas dévoyé. Il a un sens, profond et
réfléchi.
Parce
que « accompagner » c'est cheminer ensemble. Cela veut
dire qu'en tant que professionnels nous ne faisions pas à la place
mais nous tentions de créer un espace de changement possible pour
tous ces parents en difficultés.
Accompagner
veut dire que parfois le compagnon de route trébuche, tombe,
fatigue, baisse les bras, déconne à fond les manettes, ne respecte
pas la Loi, part en vrille. Il faut alors le soutenir, accepter qu'il
tombe et tendre la main pour l'aider à se relever. Parfois, il faut
en laisser temporairement au bord du chemin pour en relever d'autres.
Question de priorités. Parfois, il ne faut surtout pas l'empêcher
de tomber et parfois si. C'est délicat.
C'est
là que la notion de compagnon est importante. On considère l'autre en tant que personne, en tant que sujet avec
tous ses manquements, ses fragilités et ses richesses aussi. Là où
cela se complique, c'est que la relation est professionnelle et
qu'elle est parfois contrainte : on ne peut pas dire qu'une
famille, à laquelle le juge des enfants a imposé une mesure
éducative, soit dans une envie franche et joyeuse d'accueillir
l'éducatrice/teur qui va travailler avec eux et évaluer leur
dynamique à essayer de modifier les choses.
Toute
la question est alors de réussir à établir une relation au sein de
laquelle les personnes (adultes et enfants) se sentent respectées
pour qui elles sont. Dans le même temps, respecter ne veut pas dire
accepter tout et n'importe quoi de ce qu'elles font. Il y a ce
chemin, parfois si étroit qu'il en devient presque une ligne de
crête escarpée ou une trace ténue dans les herbes, ce chemin fait
de non jugement et de non complaisance à la fois. Parler de ce qui
fait problème, nommer les difficultés, pointer les défaillances
sans jamais porter de jugement de valeur et sans jamais accepter les
dérives. Facile à dire, pas toujours à faire.
C'est
ce qu'accompagnement veut dire : se tenir aux côtés de
personnes en difficultés (et non pas, au choix : ces gens là,
les cas soc' ou cas sociaux, les assistés, les profiteurs. J'ai
aussi entendu : les consanguins, les gogols, ceux qui en sont là
parce qu'ils le veulent bien...à vomir) et les aborder en égales
malgré ce qu'elles ont pu faire et malgré le lien bien particulier
dû à la mesure éducative.
Le
pouvoir est du côté du travailleur social. Certains en ont abusé
jusqu'à en devenir maltraitants pour les familles. C'est une chose
dangereuse que je vois comme une caisse de nitroglycérine. A manier
avec d'infinies précautions. Parce qu'il faut aussi accepter cela :
faire ce métier met à une position de pouvoir, toute relative mais
réelle. C'est là où les gros mots éthique et déontologie ont
leur place.
Accompagner
c'est aussi accepter ce qui peut venir si la confiance s'instaure.
Parce que lorsqu'une personne sait qu'elle peut « lâcher »
parce qu'elle ne sera pas jugée alors il faut être prêt à
entendre ce qui sort. C'est fort, violent, douloureux, effrayant,
bouleversant. Ça touche, ça fait peur, ça met en colère. Mais
c'est si important et ça permet de comprendre beaucoup de choses
soudain. Je me souviens d'une mère de famille qui un jour, alors que
j'allais remballer mes affaires et partir, m'a juste dit « mon
grand-père aussi était comme ça » dans un flot de phrases
autour de vacances et colos à venir, de la date du procès aux
assises du grand-père de sa fille qu'il avait violé alors qu'elle
n'avait que six ans et de la fin de l'année scolaire. Ce jour là,
le travail de fond a véritablement commencé. Cela faisait un an que
j'intervenais. Question de moment, de tempo et de confiance je
suppose.
Et
parfois l'accompagnement s'inverse. Vous n'allez peut-être pas me
croire mais nous avions coutume de dire que les familles étaient
bonnes pour nous. Comment est-ce possible ? Si nous percevions
les humeurs, états d'esprit et autres coups de mou des familles et
bien l'inverse était vrai aussi. Et parfois, tout professionnel que
l'on veut être, il y a des périodes compliquées et des mauvais
jours. Et les familles le sentent. Certaines n'en tiennent pas compte
(et c'est bien normal) et d'autres y sont attentives.
La
première fois que ça m'est arrivé, je n'en suis pas revenue. J'ai
compris quelque chose de fondamental ce jour là sur ce que pouvait
être « accompagner ». Une seule phrase qui ressemblait à
« Vous avez une petite mine Madame Frayer, faut faire attention
à vous hein parce que qui va s'occuper du dossier des vacances de la
petite ?» Venant d'eux, c'était ce qu'il y avait de plus
proche de « on tient quand même un peu à vous ».
Et
ben, ça fait du bien parfois de recevoir une petite attention, un
geste, un mot. Et cela ne venait pas toujours des familles avec
lesquelles cela se passait le mieux.
Au
final, toujours, à un moment donné, quand les problèmes ont été
abordés, les rendez-vous avec les partenaires sont terminés, que
les enfants ont montré les cahiers et les dessins, que le ton est
monté puis redescendu, que la colère ou la tristesse sont passées,
toujours il y a ces instants où les regards se croisent et où
s'effacent les rôles. Il ne reste alors que deux êtres humains qui
avancent ensemble, chacun à des places particulières et définies,
de part et d'autre d'une ligne invisible et perméable. Il y a alors
deux personnes qui se reconnaissent en tant que telles et se
rejoignent. Cela peut être fugace ou délibéré mais c'est ce qui
donne du sens à l'accompagnement et qui rendait le travail si
incroyablement riche.
C'est si délicat les relations humaines, tout est question de "bonne distance" ni trop près ni trop loin, accompagner mais pas remplacer. Tu devais être à ta place dans ce métier mais sans doute ne peut on pas "tenir" trop longtemps....
RépondreSupprimerTu en parles bien, et c'est vrai que si mon travail a des points communs avec le tien, il n'est pas aussi dur, puisque je vais réussir à finir ma "carrière" dans cette fonction qui est d'enseigner bien sûr, mais d'éduquer aussi (ceux qui oublient cette part du métier, ne le supporte pas) et évidemment d'accompagner.
RépondreSupprimerLa différence, c'est que mes élèves n'ont pas tous des problèmes aussi lourds, même si j'en ai croisé. Et quand des anciens élèves des années 80 me contactent sur fb, je me dis que les nouvelles technologies améliorent encore ma capacité d'accompagnement, et rend cette relation réciproque encore plus concrètement.
Oui, j'ai souvent entendu dans les établissement scolaires "on est pas là pour les éduquer"...tout dépend de ce qu'on entend pas éduquer je crois :-)
SupprimerTu as des anciens élèves qui tout ce temps après te contactent?! Wow! Les technologies ont créé une nouvelle manière d'être en lien, c'est évident.
54 de mes amis (sur 166) sont des anciens élèves ( pas toujours très anciens, mais ils ne sont plus au lycée, c'est un critère obligatoire pour que j'accepte.) Copainsdavant m'apporte aussi des messages régulièrement. Il faut dire que je n'ai jamais changé de ville, je suis facile à trouver.
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