vendredi 4 septembre 2015

Il a un nom. Il avait une histoire.

Il est plus d'une heure du matin. C'est le 4 septembre. Mon neveu fête ses 25 ans aujourd'hui. Je ne dors pas. Je n'y arrive pas. A chaque fois que je ferme les yeux, les images d'Aylan tatouées à jamais sous mes paupières m'empêchent de trouver l'apaisement du sommeil. Et avec ces images ma colère. Car je suis en colère depuis 48h.

Depuis que ces photos ont été publiées, j'essaye d'y échapper. J'ai réussi mercredi, j'ai totalement échoué jeudi. Je n'ai pas la télé mais je suis pas mal sur la Toile. Où que j'aille sur le net, d'une manière ou d'une autre, ces images me sont imposées. Leur violence incommensurable m'est balancée en pleine face et j'ai juste à fermer ma gueule. Regarde et tais-toi ! J'ai esquivé Twitter et (re)découvert qu'on pouvait désactiver la fonction « activer les images », Instagram n'a pas échappé non plus à la publication de ces clichés. Je ne vous parle même pas de Facebook. Je pensais naïvement en être protégée. Non, et au contraire même car je ne peux pas désactiver la fonction d'affichage des images, il n'y en a pas. Je ne vais pas me fâcher avec les amis qui aiment ou partagent des articles sur le sujet, photos à l'appui. Sans s'en rendre compte, ou alors ils s'en fichent, ils m'imposent ce choc qui est renouvelé à chaque affichage.

Sauf que ça n'est pas "juste" une photo d'un petit enfant mort noyé en Méditerranée. Il a un nom. Il avait une histoire. Sa famille fuyait la Syrie et l'enfer qui s'y trouve. Cette photo ne nous parle pas de cet enfant, juste de sa mort, tragique. 


Jamais je ne me suis voilée la face. Je me tiens au courant de ce qui se passe dans le monde plutôt plus que moins. Seulement, je choisis les médias. J'évite autant que faire ce peu les images. Je n'ai pas besoin de visuel pour comprendre ou me faire une idée de ce qui se passe, des enjeux, de l'horreur. Ne pas vouloir voir de photos choc ne fait pas de moi une autruche avec la tête dans le sable. Non. Seulement, l'horreur s'imprime en moi et ne s'en va jamais. Des années après, certaines photos ressurgissent dans mes rêves et les tournent en cauchemars. Et cela n'a rien changé à la situation des personnes se trouvant sur ces photos, ou de leurs familles. La même question se pose concernant la mort d'Aylan, de sa mère et de son frère.

Je lis depuis ces deux derniers jours qu'il FAUT se prendre ces images en pleine tronche pour réveiller les consciences. Qu'il FAUT un électrochoc pour qu'enfin « quelque chose soit fait ». Vraiment ? Mais dites-moi, les réfugiés qui meurent en Méditerranée, il y en a depuis des mois. Elle était où votre indignation ? Et ces 70 malheureux qui sont morts dans un camion en Autriche, elles sont où les photos ? Et les photos des pêcheurs Italiens ou Grecs qui remontent des restes humains dans leurs filets car des milliers, DES MILLIERS, d'enfants, de femmes et d'hommes sont morts en fuyant désespérément l'enfer. Elles sont où ces photos ? Ne me dites pas que vous avez découvert il y a 48h que des réfugiés meurent chaque semaine en tentant la traversée !
J'ajoute que, et c'est un fait scientifique, être constamment confronté aux images violentes (oui cette image est violente) accroît la tolérance à la violence ce qui, à force, rend plus indifférent à cette même violence.Tous blasés donc il faut de plus en plus d'horreur pour espérer provoquer une réaction? C'est une question qu'on ne peut plus éviter aujourd'hui.

Alors quoi ? Et maintenant ? Je, tu, nous, vous : on fait quoi hein ? Non parce que l'indignation et le réveil des consciences, je veux bien. Mais concrètement ? Et je ne parle pas des gouvernements et de l'Europe. VOUS qui criez si fort et avez décrété que je devais voir ces photos à tout prix pour éveiller ma conscience. Alors ? A part sonner l'hallali, que proposez-vous ? Je suis toute prête à écouter et à relayer. Parce que sinon, bonjour l'hypocrisie (ou le cynisme) : s'indigner derrière un écran et/ou depuis son canapé est bien facile. Vouloir changer les choses en disant « mais qu'est-ce qu'ILS attendent pour faire quelque chose »... C'est qui ILS? C'est vous ?
Le pire dans tout ça : dans une semaine, Aylan, les larmes de son père et tous ces morts auront été remplacés par une autre info.

Voilà, ma colère m'a encore emportée. Colère par rapport à cette photo. Colère par rapport à la situation de tous ces réfugiés. Colère à propos de mon impuissance (ou de ma lâcheté, au choix). Tout ça pour dire que je ne sais pas plus que vous ce qu'il faut faire concrètement, utilement et de manière pérenne (sans tomber dans la démagogie ou l'aide compassionnelle). Mais je sais aussi que je n'ai pas besoin de photos pour avoir conscience de la réalité.


Pour en revenir à mon propos initial. Je ne dis pas que ces photos ne devaient pas être publiées. Elles devaient probablement l'être. Et j'ajouterai que je trouve que la photo du policier Turc portant délicatement le corps d'Aylan dans ses bras a bien plus de force  que la photo du petit cadavre au bord de l'eau.
En revanche, j'aurais aimé avoir le choix de les regarder ou non. Et ne pas être pointée du doigt pour vouloir avoir le choix. 
 

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